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Mon père se leva, rougit presque et la suivit en parlant des bienfaits de la sieste. A
«Les gens disent que la sieste est très reposante, mais je crois que c'est une idée fausse...»
Je m'arrêtai aussitôt, consciente de l'équivoque de ma phrase.
«Je vous en prie», dit A
Elle n'y avait même pas mis d'équivoque. Elle avait tout de suite vu la plaisanterie de mauvais goût. Je la regardai. Elle avait un visage volontairement calme et détendu qui m'émut. Peut-être, en ce moment, enviait-elle passio
«Remarquez qu'avec les coups de soleil d'Elsa, ce genre de sieste ne doit pas être très grisant, ni pour l'un ni pour l'autre.»
J'aurais mieux fait de me taire.
«Je déteste ce genre de réflexion, dit A
Je m'énervai brusquement:
«Je disais ça pour rire, excusez-moi. Je suis sure qu'au fond, ils sont très contents.»
Elle tourna vers moi un visage excédé. Je lui demandai pardon aussitôt. Elle referma les yeux et commença à parler d'une voix basse, patiente:
«Vous vous faites de l'amour une idée un peu simpliste. Ce n'est pas une suite de sensations indépendantes les unes des autres...» Je pensai que toutes mes amours avaient été ainsi. Une émotion subite devant un visage, un geste, sous un baiser... Des instants épanouis, sans cohérence, c'était tout le souvenir que j'en avais.
«C'est autre chose, disait A
Elle eut un geste évasif de la main et prit un journal. J'aurais aimé qu'elle se mît en colère, qu'elle sortît de cette indifférence résignée devant ma carence sentimentale. Je pensai qu'elle avait raison, que je vivais comme un animal, au gré des autres, que j'étais pauvre et faible. Je me méprisais et cela m'étais affreusement pénible parce que je n'y étais pas habituée, ne me jugeant pour ainsi dire pas, ni en bien ni en mal. Je montai dans ma chambre, je rêvassai. Mes draps étaient tièdes sous moi, j'entendais encore les paroles d'A
Je ne me rappelle plus les incidents de ces quinze jours. Je l'ai déjà dit, je ne voulais rien voir de précis, de menaçant. De la suite de ces vacances, bien sûr, je me rappelle très exactement puisque j'y apportai toute mon attention, toutes mes possibilités. Mais ces trois semaines-là, ces trois semaines heureuses en somme... Quel est le jour où mon père regarda ostensiblement la bouche d'A
Un après-midi, nous allâmes prendre le thé chez la mère de Cyril. C'était une vieille dame tranquille et souriante qui nous parla de ses difficultés de veuve et de ses difficultés de mère. Mon père compatit, adressa à A
«Vous ne vous rendez pas compte qu'elle est contente d'elle, criai-je. Qu'elle se félicite de sa vie parce qu'elle a le sentiment d'avoir fait son devoir et...
– Mais c'est vrai, dit A
– Et son devoir de putain? dis-je.
– Je n'aime pas les grossièretés, dit A
– Mais ce n'est pas paradoxal. Elle s'est mariée comme tout le monde se marie, par désir ou parce que cela se fait. Elle a eu un enfant, vous savez comment ça arrive les enfants?
– Sans doute moins bien que vous, ironisa A
– Elle a donc élevé cet enfant. Elle s'est probablement épargné les angoisses, les troubles de l'adultère. Elle a eu la vie qu'ont des milliers de femmes et elle en est fière, vous comprenez. Elle était dans la situation d'une jeune bourgeoise épouse et mère et elle n'a rien fait pour en sortir. Elle se glorifie de n'avoir fait ni ceci ni cela et non pas d'avoir accompli quelque chose.
– Cela n'a pas grand sens, dit mon père.
– C'est un miroir aux alouettes, criai-je. On se dit après: «J'ai fait mon devoir» parce que l'on n'a rien fait. Si elle était devenue une fille des rues en étant née dans son milieu, là, elle aurait eu du mérite.
– Vous avez des idées à la mode, mais sans valeur», dit A
C'était peut-être vrai. Je pensais ce que je disais, mais il était vrai que je l'avais entendu dire. Néanmoins, ma vie, celle de mon père allaient à l'appui de cette théorie et A
et puis un jour, ce fut la fin. Un matin, mon père décida que nous irions passer la soirée à Ca
«Tu es le plus bel homme que je co
– A part Cyril, dit-il sans le croire. Et toi, tu es la plus jolie fille que je co
– Après Elsa et A
– Puisqu'elles ne sont pas là et qu'elles se permettent de nous faire attendre, viens danser avec ton vieux père et ses rhumatismes.»
Je retrouvai l'euphorie qui précédait nos sorties. Il n'avait vraiment rien d'un vieux père. En dansant, je respirai son parfum familier d'eau de Cologne, de chaleur, de tabac. Il dansait en mesure, les yeux mi-clos, un petit sourire heureux, irrépressible comme le mien, au coin des lèvres.
«II faudrait que tu m'appre
Il s'arrêta de danser pour accueillir d'un murmure machinal et flatteur l'arrivée d'Elsa.
Elle descendait l'escalier lentement dans sa robe verte, un sourire désabusé de mondaine à la bouche, son sourire de casino. Elle avait tiré le maximum de ses cheveux desséchés et de sa peau brûlée par le soleil, mais c'était plus méritoire que brillant. Elle ne semblait pas heureusement s'en rendre compte. «Nous partons?
– A
– Monte voir si elle est prête, dit mon père. Le temps d'aller à Ca
Je montai les marches en m'embarrassant dans ma robe et frappai à la porte d'A
«Magnifique! dis-je. Oh! A
Elle sourit dans la glace comme on sourît à quelqu'un qu'on va quitter.
«Ce gris est une réussite, dit-elle.
– «Vous» êtes une réussite», dis-je.
Elle me prit par l'oreille, me regarda. Elle avait des yeux bleu sombre. Je les vis s'éclairer, sourire.
«Vous êtes une gentille petite fille, bien que vous soyez parfois fatigante.»
Elle me passa devant sans détailler ma propre robe, ce dont je me félicitai et me mortifiai à la fois. Elle descendit l'escalier la première et je vis mon père venir à sa rencontre. Il s'arrêta en bas de l'escalier, le pied sur la première marche, le visage levé vers elle. Elsa la regardait descendre aussi. Je me rappelle exactement cette scène: au premier plan, devant moi, la nuque dorée, les épaules parfaites d'A
«A
Elle lui sourit en passant et prit son manteau.
«Nous nous retrouvons là-bas, dit-elle. Cécile, vous venez avec moi?»
Elle me laissa conduire. La route était si belle la nuit que j'allai doucement. A