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C’était la seule note vivante dans cette pièce où rien n’indiquait la présence d’une jeune et jolie femme. Et encore ! Dans les salons de n’importe quel palace on en aurait trouvé autant. Il pensa que la belle Tania avait dû louer cet appartement meublé. Mais, quand elle apparut le décor sembla s’éclairer par la magie de son extrême beauté.

Comme la veille elle était vêtue de noir – Aldo devait découvrir qu’elle ne portait jamais de couleurs –, ce qui était une gageure pour une brune aussi profonde mais l’éclat de ses yeux bleus, son teint de camélia, diffusaient leur propre lumière. Elle portait une robe en crêpe de Chine qui devait venir de chez Jean Patou. Grâce à Lisa, qui faisait autorité en la matière bien qu’elle s’habillât de préférence chez Jea

— Félix ne nous a même pas laissé le temps de faire co

Il prit les mains offertes, en baisa une et rendit sourire pour sourire :

— Puis-je savoir ce qui me vaut une attention aussi flatteuse ?

— La modestie ne vous va pas, mon cher prince ! Comme si vous ne saviez pas que pour un grand nombre de femmes, en Europe et aussi ailleurs sans doute, vous représentez toutes les fulgurances des plus beaux diamants, des rubis rares, des émeraudes les plus sublimes, tous ces joyaux qui ont paré des souveraines ou des empereurs. Vous appartenez un peu aux  Mille et Une Nuits !

— Je vous jure que je ne possède ni lampe merveilleuse ni tapis magique et, pour celles qui aiment les parures exceptio

— Et collectio

Dans une salle à manger aussi banale que le salon, le décor n’était réchauffé que par le samovar placé au centre d’une table garnie de pâtisseries et des ingrédients nécessaires à un thé à la russe. La fille de Gengis Khan était là elle aussi mais elle s’esquiva sur un signe de sa maîtresse… Après avoir goûté le thé servi par de fines et expertes mains blanches ornées d’un seul diamant, Morosini demanda :

— Comment avez-vous eu mon adresse actuelle ? Ce n’est pas à cet endroit que j’habite en général lorsque je viens à Paris.

Par-dessus le bord de la tasse elle leva sur lui un regard plein d’i

— Je l’ai demandée à Félix. Un passage chez votre concierge a confirmé.

Un concierge étant fait pour renseigner autant que pour garder, Aldo se résigna à n’exercer quelques représailles que ce soit sur celui d’Adalbert :

— C’est en effet bien naturel, marmotta-t-il en essayant de se souvenir s’il avait vraiment do

Elle essuya délicatement ses jolies lèvres avec une minuscule serviette brodée puis enveloppa son visiteur d’un sourire ensorcelant :

— Vous pourriez m’aider à retrouver certains joyaux de famille disparus à la suite de la Révolution. Mon défunt époux était un diplomate qui a senti venir le vent et a eu la prudence d’investir des capitaux en Europe de l’Ouest. Ce qui me permet de vivre convenablement. C’était un homme d’âge mûr et plein d’expérience et je le remercie chaque jour d’avoir ainsi veillé à ma sécurité future mais nous possédions aussi des bijoux de grand prix. Malheureusement ils nous ont été volés quand nous avons fui Saint-Pétersbourg. Aussi je souhaiterais…

— Permettez-moi un instant, comtesse ! fit Aldo en l’interrompant d’un geste de la main. Je dois vous mettre en garde contre une information peut-être un peu sommaire. Je suis avant tout antiquaire et, si je porte aux bijoux un intérêt que j’avoue bien volontiers passio





Le ton était ferme, un peu sec peut-être mais c’était volontaire. Ce n’était pas la première fois qu’une jolie femme le priait de lui rechercher sa rivière de diamants ou son sautoir de perles subtilisé par un valet indélicat ou simplement perdus. Il n’était ni policier ni détective privé et ce genre d’investigations ne le regardait pas. Aussi préférait-il a

Or elle n’en fit rien, lui servit une autre tasse de thé et sourit de nouveau tandis que sa voix atteignait d’étranges suavités :

— Mais je ne vous demande pas de courir après n’importe quoi ! Nous possédions quelques pièces historiques. D’abord une paire de bracelets de rubis ayant appartenu à la reine Marie-Antoinette…

Aldo retint un soupir excédé. Marie-Antoinette ! Encore elle ! Si la superbe et pauvre reine avait possédé les bijoux qu’on lui attribuait, elle aurait du transformer la moitié du château de Versailles en coffre-fort. Il se contenta de murmurer :

— La reine ne portait jamais de rubis. Elle aimait presque exclusivement les diamants et les perles. Les saphirs aussi qui s’accordaient si bien à ses yeux… comme vous le faites d’ailleurs !

— Vous croyez ? Mon époux cependant était formel. Il disait en avoir les preuves. En somme il pouvait s’agir d’un présent fait par un souverain étranger par le truchement de son ambassadeur…

— Un ambassadeur digne de ce nom commençait par se renseigner sur les goûts de la perso

— N’importe qui peut se tromper. Ce qu’il reste est que j’ai porté jadis ces deux bracelets qui sont proprement fabuleux, vraiment dignes d’entrer dans un trésor royal. En outre je sais où ils sont.

— En ce cas je ne vois pas ce que peut être mon rôle.

— Celui de négociateur. J’ai vu il y a quelques jours mes bracelets chez le maharadjah de Kapurthala. Ils étaient aux bras de la princesse Brinda…

Morosini sauta moralement en l’air :

— Et vous voulez que j’aille lui demander de vous les vendre ? Que ne l’avez-vous fait vous-même ?

— Les femmes sont de peu d’importance chez les Hindous, même si le maharadjah les aime beaucoup. Un homme de votre réputation réussirait mieux que moi. Et il ne s’agit pas d’acheter mais de me faire rendre ce qui m’appartient…

Tout simplement ! Aldo en avait assez entendu. Cette femme devait être folle. Il se leva, s’inclina :

— Désolé, comtesse, mais il ne faut pas compter sur moi pour une entreprise dont le bien-fondé n’est pas vraiment établi. Au surplus vous demandiez un négociateur alors que c’est un récupérateur qu’il vous faut. Enfin, avant la guerre, mes parents ont beaucoup co

— Allons ! Ne nous fâchons pas et restez encore un peu ! Oublions les bracelets ! Je tiens à ce que nous devenions amis.

Ses beaux yeux suppliaient, pleins d’une repentance qui semblait sincère et, à moins de se conduire comme un goujat, Aldo ne pouvait que se rasseoir.