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D'une main rapide, elle retroussa les mèches blondes qui collaient au front de Catherine, scruta le visage aux traits tirés. Une douleur brutale tordit la jeune femme dont le corps, soudain, s'arqua pour retomber l'instant suivant. Elle haleta.

— J'ai mal, Sara !... Une douleur terrible !... C'est comme si on me perçait le flanc... C'est la deuxième... Tout à l'heure déjà, quand Arnaud m'a passée à Gauthier... Je... Je ne sais pas ce que c'est !

— Moi, je m'en doute, fit Sara... Depuis si longtemps que nous sommes en route, nous avons perdu la notion des jours.

— Tu ne veux pas dire que... c'est déjà l'enfant ?

— Pourquoi pas ? Avec toutes ces chevauchées, il peut avoir pris de l'avance. Seigneur, il ne nous manquait plus que cela !

Mais elle ne perdait pas son temps en vaines paroles. Vivement elle débarrassait Rustaud des bagages qu'il portait : le coffre aux remèdes et un rouleau de vêtements. Gauthier, de son côté, avait laissé en partant ceux dont sa propre monture était chargée : encore des vêtements, un sac de fourrage pour les bêtes et une marmite. En un clin d'œil, Sara eut accumulé sur Catherine deux couvertures et un manteau. Puis elle entreprit d'allumer du feu grâce à un peu de paille et à des branches qu'elle alla couper au-dehors. Ensuite, elle emplit d'eau sa marmite et la mit à chauffer, accrochée à trois branches entrecroisées. Les yeux agrandis, Catherine la regardait faire. La douleur faisait trêve pour un temps et la jeune femme tendait l'oreille pour essayer de saisir quelque chose de la bataille. Mais le grondement de l'eau si proche dominait tout.

Catherine essaya de retrouver une prière au fond de sa mémoire, mais son esprit lui parut curieusement vide. Elle était incapable de le détacher d'Arnaud. Tout son être se tendait vers lui et elle cherchait à deviner, au fond de son cœur, l'éclair de souffrance qui lui apprendrait sa mort. Si le lien secret qui les unissait depuis si longtemps se rompait brusquement, Catherine savait qu'elle en serait avertie, à cet instant précis, par une souffrance intérieure...

Le feu, allumé par Sara, flambait bien maintenant et mettait un écran de chaleur rassurante entre la jeune femme et le froid du dehors. La nuit venait très vite et Sara, pour diminuer les risques d'être aperçue du dehors, accumulait des branches et des pierres devant l'entrée de la grotte. Des bruits confus parvenaient parfois jusqu'aux deux femmes enfermées dans leur étroit refuge. Un hurlement de rage ou un long gémissement de douleur. Une trompe so

— Que fait Gauthier ? gémit Catherine. Pourquoi ne revient-il pas me dire...

— Il a sans doute autre chose à faire, répliqua Sara. Le combat peut durer car tous sont des guerriers entraînés de longue date.

— Et Arnaud ? Crois-tu qu'après sa maladie il soit encore entraîné ?

— Chez lui, fit Sara avec un mince sourire, c'est plus qu'une habitude ou un entraînement : la guerre, c'est sa nature même. Et puis Gauthier veillera sur lui.

— Et s'ils sont pris ?

— Nous le saurons... Pour le moment, il faut penser à toi, et à l'enfant si c'est lui qui vient.

Comme pour répondre à Sara, une nouvelle douleur plus violente vrilla le corps de Catherine en même temps qu'une désagréable sensation d'humidité...

La tempête de douleurs qui submergea Catherine dura-t-elle une heure ou dix ? Le temps s'effaça et, avec lui, la conscience des événements extérieurs. Même l'angoisse née du combat si proche était abolie. Il ne restait plus que l'intolérable souffrance. Cela ne laissait ni trêve ni repos et Catherine, torturée, écartelée, avait l'impression que l'enfant, tel un géant secouant les murs de sa prison, faisait tout éclater en elle pour en venir plus vite à la lumière. La seule chose réelle, en dehors de son supplice, c'était le visage anxieux de Sara, éclairé en rouge par les flammes du foyer, qui se penchait sur elle, c'était la main chaude de Sara sur laquelle la jeune femme agrippait ses mains convulsives. Elle ne criait pas, mais un gémissement continu s'échappait de ses lèvres. Elle haletait, prise au piège de la souffrance sans rémission, d'une torture que sa propre volonté ne pouvait faire cesser et qui devait se poursuivre inexorablement jusqu'à son terme normal. De temps en temps, Sara essuyait le front en sueur avec un linge imbibé d'eau de la reine de Hongrie et l'odeur fraîche ranimait un instant Catherine, mais l'enfant revenait à la charge et la jeune femme replongeait dans son martyre.

Elle souhaitait éperdument un instant de rémission, un seul, qui lui eût permis de se laisser aller à son immense fatigue.

Elle avait tellement envie de dormir !... dormir, oublier, cesser de souffrir !... Est-ce que vraiment cette douleur ne cesserait jamais ? Est-ce qu'elle ne pourrait plus jamais dormir ? La conscience s'atténuait peu à peu sans qu'elle s'en rendît compte, mais, tout à coup, il y eut une douleur pire que les autres, une souffrance inouïe qui lui arracha un véritable hurlement, si haut, si puissant qu'il franchit la vallée, s'étendit sur la campagne ensevelie dans la nuit et alla frapper de terreur les hommes qui l'entendirent. Mais il n'y eut qu'un seul cri car, ensuite, Catherine plongea enfin dans la bienheureuse inconscience qu'elle avait tant désirée. Elle n'entendit même pas le piaillement rageur qui fit écho à son grand cri de délivrance, ni le rire heureux de Sara. Cette fois, elle s'était évanouie.





Quand lui revint la conscience, celle-ci fut cependant assez peu claire. Catherine avait l'impression de flotter à travers une brume légère peuplée de paires d'yeux brillants qui la regardaient. Son corps n'existait plus. Elle avait miraculeusement rompu les amarres qui l'enchaînaient à une terre pleine d'embûches et de douleurs. Elle se sentait tellement légère que l'idée lui vint que, peut-être, elle était morte et avait gagné les nuages. Mais un bruit tout à fait terrestre secoua sa bienheureuse torpeur: le vagissement d'un bébé...

Alors, bien réveillée soudain, elle ouvrit tout grands ses yeux, redressa la tête sur le manteau roulé qu'on lui avait mis comme oreiller. Entre elle et le feu, il y avait une grande ombre noire, agenouillée, une ombre qui disait :

— Regarde, mon amour... regarde ton fils !

Une merveilleuse onde de joie noya Catherine. Elle voulut tendre les bras, mais ses membres pesaient comme du plomb.

— Attends, chuchota Sara contre son oreille, je vais te soulever. Tu es épuisée.

Mais cela lui était bien égal. Elle voulait tenir contre elle ce petit paquet que maintenant elle distinguait nettement dans les grandes mains d'Arnaud.

— Un fils ?... C'est un fils ? Oh, do

Il glissa contre son flanc le petit paquet chaud qui

gigotait. Gauthier apparut, portant une torche de fortune faite d'un branchage enflammé, immense vu du sol où elle gisait, mais avec un large sourire étendu sur son visage. Grâce à cette lumière, Catherine vit enfin son fils : un minuscule visage rouge et fripé dans l'encadrement des lainages dont Sara l'avait entortillé, deux tout petits poings bien serrés et un léger duvet clair, moussant sur le petit crâne rond.

— Il est superbe ! s'écria la voix joyeuse d'Arnaud. Grand, fort, magnifique... un vrai Montsalvy !

Malgré sa faiblesse, Catherine se mit à rire.

— Tous les Montsalvy sont donc aussi laids quand ils vie

— Il se défripera, intervint Sara. Rappelle-toi...

Elle se mordit les lèvres, retenant au dernier instant

les mots prêts à sortir. Sara avait failli lui rappeler le petit Philippe, l'enfant qu'elle avait eu de Philippe de Bourgogne et qui était mort à quatre ans, au château de Châteauvillain. C'eût été une sottise et Sara, mentalement, se traita d'idiote.

Mais Catherine avait compris. Son visage s'était légèrement crispé et, d'un geste instinctif, elle serra contre elle le nouveau-né. Celui-là, il était le fils de l'homme qu'elle adorait et elle saurait le défendre contre le mal. La mort ne le lui prendrait pas. Mais son geste avait réveillé le bébé qui sommeillait. Tout de suite, il protesta. Sa petite bouche s'ouvrit démesurément. On ne vit plus qu'un trou rond sous un nez minuscule, mais un trou ouvrant sur un gosier particulièrement vigoureux.