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Les hommes d'armes avaient raflé le bétail que la maladie n'avait pas décimé et, sous la griffe noire de la faim, tout le pays agonisait lentement.

Le bonheur qu'avait procuré à Catherine le départ de Bourges, au début de cette longue route qui allait la conduire vers son nouveau foyer, s'était éteint peu à peu depuis que l'on était entré dans cette terre de misère. Chaque pas de Morgane augmentait le poids qui s'accumulait sur sa poitrine. L'oppressant silence de ces campagnes désertes, de ces pitons hérissés de forteresses noires et muettes agissait lentement sur elle. Quand, d'aventure, on apercevait un être humain, il fuyait aussitôt devant cette troupe armée et quand un regard croisait le sien Catherine n'y voyait jamais rien d'humain. Les hommes étaient devenus autant de loups. Mais, parmi ces loups, la jeune femme n'allait pas tarder à s'apercevoir que les Gascons d'Escornebœuf étaient les pires.

Quand furent épuisées les quelques provisions que l'on avait pu garder, la nourriture quotidie

De plus, Catherine était inquiète pour elle-même. Ce voyage, à la fois lent et pénible, la fatiguait au-delà de toute imagination. Des douleurs la traversaient souvent et la nuit, quand elle reposait entre les bras d'Arnaud, dans l'un ou l'autre des abris de fortune qu'ils trouvaient, elle avait de plus en plus de peine à trouver le sommeil. Sa nervosité montait en proportion. Un soir, entre Catherine et Arnaud, le premier drame éclata.

On s'était arrêté pour la nuit dans une chapelle à ; demi ruinée au cœur de l'épaisse forêt de Chabrières et, comme il avait coutume de le faire chaque soir, Gauthier s'était enfoncé dans la forêt, sa fidèle hache à la main, pour tenter de chasser.

Les Gascons avaient allumé un feu auprès duquel Catherine et Sara s'étaient réfugiées, puis, laissant trois hommes d'armes de garde, s'étaient éloignés, eux aussi, à la recherche de quelque chose à manger. On n'avait absorbé, depuis la veille, qu'une bouillie faite de châtaignes trouvées dans une grange isolée dont les soldats avaient enfoncé la porte. Les dents étaient longues et la mauvaise humeur régnait. Dans l'enclos de pierres sèches où l'on avait parqué les chevaux, Arnaud s'occupait à soigner Rustaud qui boitait à cause d'une pierre entrée dans un sabot. Catherine tendait les mains vers le feu que Sara attisait en essayant d'oublier sa faim.

Soudain, le silence éclata en imprécations et en cris de douleur. Deux des Gascons sortirent d'un fourré, traînant un paysan qui se débattait de toutes ses forces. À l'épaule de leur priso

— Espèce de brute ! De quel droit avez-vous frappé cet homme ? Qui vous en a do

Folle d'une colère qui avait du moins le mérite de la libérer de son écœurante peur physique, elle allait sauter au visage du Gascon, toutes griffes dehors, quand Arnaud, qui accourait, la saisit par les bras et la retint fermement.

— Catherine ! Es-tu folle ? Qu'est-ce qu'il te prend ?

Des larmes brûlantes jaillirent des yeux de la jeune femme et elle tourna vers son mari son visage noyé de pleurs.

— Ce qu'il me prend ? Est-ce que tu n'as pas vu ? Est-ce que tu ne vois pas ce cadavre devant toi ? Cet homme a tué un malheureux paysan pour rien, pour ça...

Du pied, elle repoussait les dépouilles des lièvres comme elle eût fait d'un serpent mort.

— Il criait trop ! Sang de Dious ! coupa le Gascon. Je n'aime pas qu'on crie !

— Et moi, coupa Arnaud doucement, je n'aime pas qu'on tue sans raison, l'ami ! Tu voudras bien te souvenir d'attendre mes ordres, à l'avenir, pour frapper, sinon je saurai t'apprendre l'obéissance. Maintenant, fais emporter le cadavre. Deux de tes hommes creuseront une tombe dans l'enclos. C'est une terre chrétie





Tout en parlant, il avait gardé un bras autour des épaules de Catherine qui pleurait doucement contre sa poitrine, mais elle s'écarta brusquement de lui et le regarda avec des yeux agrandis où, déjà, la colère revenue séchait les larmes.

— Hé quoi ? C'est là toute la punition que tu infliges à cet assassin ? Et c'est toute l'oraison funèbre que tu adresses à ce pauvre homme ? Qu'on l'enterre et qu'on n'en parle plus ?

— Que puis-je faire de plus ? Je regrette que cet homme ait été tué, mais, puisqu'il est mort, il n'y a rien d'autre à faire qu'à l'enterrer. C'est plus que n'en reçoivent bien des hommes qui n'ont pour sépulture que l'estomac des loups ou celui des corbeaux...

Peut-être parce que Escornebœuf avait eu vers lui, en s'éloignant avec le cadavre, un regard ironique, Arnaud avait répondu avec une certaine raideur qui augmenta l'indignation de Catherine.

— Je n'ai jamais confondu un soldat et un meurtrier ! s'écria-t-elle. Cet homme a tué froidement, sans raison. Il doit être puni selon la loi des autres hommes.

— Ne dis pas de sottises, Catherine, répondit Arnaud d'un ton las. Nous n'avons pas trop d'hommes et Dieu sait ce qui nous attend en Auvergne. Après tout, il s'agit seulement d'un manant...

Le mot souffleta Catherine. Elle sentit une profonde tristesse l'envahir, mais, cabrée, elle se redressa, fit face fièrement.

— Un manant ? fit-elle amèrement. Peu de chose en effet... aux yeux de tes pareils, du moins, car, aux yeux des miens, un manant c'est tout de même un homme !

— Mes pareils ? Tu leur appartiens, il me semble... Elle haussa les épaules, prise d'un total découragement. Leur vie commune serait-elle toujours basée sur une incompréhension profonde et l'amour passio

—~ Je me le demande ! murmura-t-elle en se détournant. Oui, en vérité, je me le demande ! Fais à ta guise... mais je ne mangerai pas de ce gibier. Il coûte trop cher pour moi !

Les yeux noirs d'Arnaud lancèrent un éclair. Il ouvrit la bouche pour répliquer, peut-être sur le mode agressif, mais, à cet instant précis, Gauthier Malencontre sortit du bois. En travers de ses épaules, il portait un sanglier que, les yeux fixés sur Arnaud, il vint jeter devant Catherine.

— Vous aurez tout de même un bon repas, dame Catherine...

Les deux hommes, le chevalier et le Normand, demeurèrent un moment face à face, le regard noir planté dans le regard gris. La main d'Arnaud s'abaissa jusqu'à la garde de son épée puis retomba. Avec un haussement d'épaules, il tourna les talons.

— Agis comme tu voudras !... jeta-t-il à Catherine avant de disparaître derrière la chapelle.