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– Vous ignorez encore, commença l'Ombre parvenue, qui demeurait dans la fameuse maison d'en face, qui vous intriguait là-bas dans les pays chauds. C'était ce qu'il y a de plus sublime au monde: la Poésie en perso

– La Poésie! s'écria le savant. Comment n'y ai-je pas pensé? Mais oui, dans les grandes villes, elle vit dans l'isolement, toute solitaire; bien peu s'intéressent à elle. Je ne l'ai aperçue qu'un instant, et encore n'étais-je qu'à moitié éveillé. Elle se tenait sur le balcon; autour d'elle une auréole brillait comme une de nos aurores boréales; elle était au milieu d'un parterre de fleurs qu'on aurait prises pour des flammes. Mais continue, continue: donc tu entras par la fenêtre du balcon, et alors…

– Je me trouvai dans une antichambre où régnait comme une sorte de crépuscule; la porte qui était ouverte do

– Et ensuite? interrompit le savant. Ne me fais pas languir.

– Je vous l'ai déjà dit, reprit l'Ombre, j'ai vu défiler devant moi tout ce qui existe: le passé et une partie de l'avenir. Mais, par parenthèse, je vous demanderai s'il n'est pas convenable que vous cessiez de me tutoyer. J'en fais l'observation, non par orgueil, mais en raison de ma science maintenant si supérieure à la vôtre, et surtout à cause de ma situation de fortune, chose qui ici-bas règle partout les relations de société.

– Vous avez parfaitement raison, dit le savant. Excusez-moi de ne pas y avoir songé de moi-même. Mais continuez, je vous prie.

– Je ne puis, reprit l'Ombre, que vous répéter: j'ai tout vu et je sais tout.

– Mais enfin, dit le savant, ces magnifiques appartements, comment étaient-ils? Était-ce comme un temple sacré? ou bien s'y serait-on cru sous le ciel étoilé? ou bien encore dans une forêt mystérieuse? Ce sont là les lieux où nous aimons à supposer que demeure la Poésie.

– Maintenant que j'ai tout vu et que je co

– Apprenez-moi au moins, dit le savant, si dans ces splendides salles vous avez aperçu les dieux des temps antiques, les héros des âges passés? Les sylphides, les gentilles elfes n'y dansaient-elles pas des rondes?

– Vous ne voulez donc pas comprendre que je ne puis vous en dire plus. Si vous aviez été à ma place, dans ce séjour enchanté, vous seriez passé à l'état d'être supérieur à l'homme; moi qui n'étais qu'une ombre, j'ai avancé jusqu'à la condition d'homme. Or le propre de l'humanité c'est de faire l'important, c'est de se prévaloir à l'excès de ses avantages. Donc il est tout naturel qu'ayant tout vu, je ne vous communique rien de ma science.

J'ai d'autant plus de raison de montrer quelque hauteur, qu'étant dans l'antichambre du palais, j'ai saisi la ressemblance de mon être intime avec la Poésie: tous deux nous sommes des reflets.

«Lorsque, devenue homme, j'abando

«Le soir je parcourus les rues au clair de lune: je grimpai tout en haut des murailles, jusqu'au faite des toits et je regardai dans les maisons, à travers les fenêtres des beaux salons et des humbles mansardes. Perso



«Maintenant je vous quitte pour aller à mes affaires. Au revoir. Voici ma carte. Je demeure du côté du soleil; quand il pleut, vous me trouverez toujours chez moi. Mais je vous préviens que je pars demain pour faire mon tour du globe.

L'Ombre s'en fut. Le savant resta absorbé dans ses réflexions sur cette étrange aventure. Des a

– Comment allez-vous? dit-elle.

– Pas trop bien, dit le savant. J'écris de mon mieux sur le Vrai, le Beau et le Bien; mais mes livres n'intéressent presque perso

– Ce n'est guère mon cas, dit l'Ombre. Voyez comme j'engraisse et comme j'ai bo

– C'est trop fort ce que vous me proposez là, dit le savant; c'est presque de l'impudence. Comment, je vous ai affranchie, sans rien vous demander, et vous voulez faire de moi votre esclave?

– C'est le cours de ce monde, répondit l'Ombre. Il y a des hauts et des bas: les maîtres devie

L'Ombre repartit de nouveau.

Le pauvre savant alla de mal en pis; les peines et les chagrins vinrent le harceler. Moins que jamais on faisait attention à ce qu'il écrivait sur le Vrai, le Beau et le Bien. Il finit par tomber malade.

– Mais comme vous maigrissez, lui dit-on, vous avez l'air d'une ombre!

Ces mots involontairement cruels firent tressaillir l'infortuné savant.

– Il vous faut aller aux eaux, lui dit l'Ombre qui revint lui faire une visite. Il n'y a pas d'autre remède pour votre santé. Vous avez dans le temps refusé l'offre que je vous faisais de vous prendre pour mon ombre. Je vous la réitère en raison de nos ancie

Le savant, pressé par la nécessité, fit taire sa fierté et ils partirent. L'Ombre avait toujours la place d'ho