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Arthur Conan Doyle
Une Étude En Rouge
(novembre 1887)
Chapitre premier M. Sherlock Holmes
En 1878, reçu médecin à l’Université de Londres, je me rendis à Netley pour suivre les cours prescrits aux chirurgiens de l’armée; et là, je complétai mes études. On me désigna ensuite, comme aide-major, pour le 5e régiment de fusiliers de Northumberland en garnison aux Indes.
Avant que j’eusse pu le rejoindre, la seconde guerre d’Afghanistan avait éclaté. En débarquant à Bombay, j’appris que mon corps d’armée s’était engagé dans les défilés; il avait même poussé très avant en territoire e
Si la campagne procura des décorations et de l’avancement à certains, à moi elle n’apporta que déboires et malheurs. On me détacha de ma brigade pour m’adjoindre au régiment de Berkshire; ainsi je participai à la fatale bataille de Maiwand. Une balle m’atteignit à l’épaule; elle me fracassa l’os et frôla l’artère sous-clavière. Je n’échappai aux sanguinaires Ghazis que par le dévouement et le courage de mon ordo
Épuisé par les souffrances et les privations. Je fus dirigé, avec un convoi de nombreux blessés, sur l’hôpital de Peshawar. Bientôt, j’entrai en convalescence; je me promenais déjà dans les salles, et même j’allais me chauffer au soleil sous la véranda, quand la fièvre entérique me terrassa: c’est le fléau de nos colonies indie
Je n’avais en Angleterre ni parents ni amis: j’étais aussi libre que l’air – autant, du moins, qu’on peut l’être avec un revenu quotidien de neuf shillings et six pence! Naturellement, je me dirigeai vers Londres, ce grand cloaque où se déversent irrésistiblement tous les flâneurs et tous les paresseux de l’Empire. Pendant quelque temps, je menai dans un hôtel privé du Strand une existence sans but et sans confort; je dépensais très libéralement. A la fin, ma situation pécuniaire m’alarma. Je me vis en face de l’alternative suivante: ou me retirer quelque part à la campagne, ou changer du tout au tout mon train de vie. C’est à ce dernier parti que je m’arrêtai; et, pour commencer, je résolus de quitter l’hôtel pour m’établir dans un endroit moins fashionable et moins coûteux.
Le jour où j’avais mûri cette grande décision, j’étais allé prendre un verre au Criterion Bar; quelqu’un me toucha l’épaule. Je reco
«A quoi avez-vous donc passé le temps, Watson? me demanda-t-il sans dissimuler son éto
Je lui racontai brièvement mes aventures.
«Pauvre diable! fit-il avec compassion, après avoir écouté mon récit. Qu’est-ce que vous vous proposez de faire maintenant?
– Chercher un appartement, répondis-je. Peut-on se loger confortablement à bon marché?
– Voilà qui est étrange, dit mon compagnon. Vous êtes le second aujourd’hui à me poser cette question.
– Qui était le premier?
– Un type qui travaille à l’hôpital, au laboratoire de chimie. Ce matin, il se plaignait de ne pas pouvoir trouver avec qui partager un bel appartement qu’il a déniché: il est trop cher pour lui seul.
– Par Jupiter! m’écriai-je. S’il cherche un colocataire, je suis son homme. La solitude me pèse, à la fin!»
Le jeune Stamford me regarda d’un air assez bizarre par-dessus son verre de vin.
«Si vous co
– Pourquoi? Vous avez quelque chose à dire contre lui?
– Oh! non. Seulement, il a des idées spéciales… Il s’est entiché de certaines sciences… Autant que j’en puisse juger, c’est un assez bon type.
– Il étudie la médecine, je suppose.
– Non. Je n’ai aucune idée de ce qu’il fabrique. Je le crois ferré à glace sur le chapitre de l’anatomie, et c’est un chimiste de premier ordre; mais je ne pense pas qu’il ait jamais réellement suivi des cours de médecine. Il a fait des études décousues et excentriques; en revanche, il a amassé un tas de co
– Qu’est-ce qui l’amène au laboratoire? Vous ne lui avez jamais posé la question?
– Non, il n’est pas facile de lui arracher une confidence… Quoique, à ses heures, il soit assez expansif.
– J’aimerais faire sa co
– Il est sûrement au laboratoire, répondit mon compagnon, tantôt il fuit ce lieu pendant des semaines, tantôt il y travaille du matin au soir. Si vous voulez, nous irons le voir après déjeuner.
– Volontiers», répondis-je.
La conversation roula ensuite sur d’autres sujets.
Du Holborn, nous nous rendîmes à l’hôpital. Chemin faisant. Stamford me fournit encore quelques renseignements.
«Si vous ne vous accordez pas avec lui, il ne faudra pas m’en vouloir, dit-il. Tout ce que je sais à son sujet, c’est ce que des rencontres fortuites au laboratoire ont pu m’apprendre. Mais puisque vous m’avez proposé l’arrangement, vous n’aurez pas à m’en tenir responsable.
– Si nous ne nous convenons pas, nous nous séparerons, voilà tout! Pour vouloir dégager comme ça votre responsabilité, Stamford, ajoutai-je en le regardant fixement, vous devez avoir une raison. Laquelle? L’humeur du type? Est-elle si terrible? Parlez franchement.
– Il n’est pas facile d’exprimer l’inexprimable! répondit-il en riant. Holmes est un peu trop scientifique pour moi, – cela frise l’insensibilité! Il administrerait à un ami une petite pincée de l’alcaloïde le plus récent, non pas, bien entendu, par malveillance, mais simplement par esprit scientifique, pour co