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À plus de vingt reprises, ils allèrent jusqu’à la porte du commissariat de police, l’un suivant l’autre. Tantôt c’était Laurent qui voulait avouer le meurtre, tantôt c’était Thérèse qui courait se livrer. Et ils se rejoignaient toujours dans la rue, et ils se décidaient toujours à attendre encore, après avoir échangé des insultes et des prières ardentes.
Chaque nouvelle crise les laissait plus soupço
Du matin au soir, ils s’espio
Un tel état de guerre ne pouvait durer davantage.
Thérèse et Laurent en arrivèrent, chacun de son côté, à rêver d’échapper par un nouveau crime aux conséquences de leur premier crime. Il fallait absolument que l’un d’eux disparût pour que l’autre goûtât quelque repos. Cette réflexion leur vint en même temps; tous deux sentirent la nécessité pressante d’une séparation, tous deux voulurent une séparation éternelle. Le meurtre, qui se présenta à leur pensée, leur sembla naturel, fatal, forcément amené par le meurtre de Camille. Ils ne le discutèrent même pas, ils en acceptèrent le projet comme le seul moyen de salut. Laurent décida qu’il tuerait Thérèse, parce que Thérèse le gênait, qu’elle pouvait le perdre d’un mot et qu’elle lui causait des souffrances insupportables; Thérèse décida qu’elle tuerait Laurent, pour les mêmes raisons.
La résolution bien arrêtée d’un assassinat les calma un peu. Ils firent leurs dispositions. D’ailleurs, ils agissaient dans la fièvre, sans trop de prudence; ils ne pensaient que vaguement aux conséquences probables d’un meurtre commis, sans que la fuite et l’impunité fussent assurées. Ils sentaient invinciblement le besoin de se tuer, ils obéissaient à ce besoin en brutes furieuses. Ils ne se seraient pas livrés pour leur premier crime, qu’ils avaient dissimulé avec tant d’habileté, et ils risquaient la guillotine, en en commettant un second, qu’ils ne songeaient seulement pas à cacher. Il y avait là une contradiction de conduite qu’ils ne voyaient même point. Ils se disaient simplement que s’ils parvenaient à fuir, ils iraient vivre à l’étranger, après avoir pris tout l’argent. Thérèse, depuis quinze à vingt jours, avait retiré les quelques milliers de francs qui restaient de sa dot, et les tenait enfermés dans un tiroir que Laurent co
Laurent avait rencontré, quelques semaines auparavant, un de ses anciens camarades de collège, alors préparateur chez un chimiste célèbre qui s’occupait beaucoup de toxicologie. Ce camarade lui avait fait visiter le laboratoire où il travaillait, lui montrant les appareils, lui nommant les drogues. Un soir, lorsqu’il se fut décidé au meurtre, Laurent, comme Thérèse buvait devant lui un verre d’eau sucrée, se souvint d’avoir vu dans ce laboratoire un petit flacon de grès, contenant de l’acide prussique. En se rappelant ce que lui avait dit le jeune préparateur sur les effets terribles de ce poison qui foudroie et laisse peu de traces, il songea que c’était là le poison qu’il lui fallait. Le lendemain, il réussit à s’échapper, il rendit visite à son ami, et, pendant que celui-ci avait le dos tourné, il vola le petit flacon de grès.
Le même jour, Thérèse profita de l’absence de Laurent pour faire repasser un grand couteau de cuisine, avec lequel on cassait le sucre, et qui était tout ébréché. Elle cacha le couteau dans un coin du buffet.
Chapitre 32
Le jeudi qui suivit, la soirée chez les Raquin, comme les invités continuaient à appeler le ménage de leurs hôtes, fut d’une gaieté toute particulière. Elle se prolongea jusqu’à onze heures et demie. Grivet, en se retirant, déclara ne jamais avoir passé des heures plus agréables.
Suza
Depuis près de quatre ans que les Michaud et Grivet passaient les jeudis soir chez les Raquin, ils ne s’étaient pas fatigués une seule fois de ces soirées monotones qui revenaient avec une régularité énervante. Jamais ils n’avaient soupço
La paralytique n’avait plus essayé de leur révéler les infamies qui se cachaient derrière la morne tranquillité des soirées du jeudi. En face des déchirements des meurtriers, devinant la crise qui devait éclater un jour ou l’autre, amenée par la succession fatale des événements, elle finit par comprendre que les faits n’avaient pas besoin d’elle. Dès lors, elle s’effaça, elle laissa agir les conséquences de l’assassinat de Camille qui devaient tuer les assassins à leur tour. Elle pria seulement le ciel de lui do
Ce soir-là Grivet vint se placer à côté d’elle et causa longtemps, faisant comme d’habitude les demandes et les réponses. Mais il ne put en tirer même un regard. Lorsque onze heures et demie so
«On est si bien chez vous, déclara Grivet, qu’on ne songe jamais à s’en aller.
– Le fait est, appuya Michaud, que je n’ai jamais sommeil ici, moi qui me couche à neuf heures d’habitude.»
Olivier crut devoir placer sa plaisanterie.
«Voyez-vous, dit-il, en montrant ses dents jaunes, ça sent les ho
Grivet, fâché d’avoir été devancé, se mit à déclamer, en faisant un geste emphatique:
«Cette pièce est le Temple de la Paix.»
Pendant ce temps, Suza