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Le dîner fut silencieux. Thérèse ne mangea pas. Au dessert, Laurent posa les coudes sur la table et lui demanda carrément cinq mille francs.

«Non, répondit-elle avec sécheresse. Si je te laissais libre, tu nous mettrais sur la paille… Ignores-tu notre position? Nous allons tout droit à la misère.

– C’est possible, reprit-il tranquillement, cela m’est égal, je veux de l’argent.

– Non, mille fois non!… Tu as quitté ta place, le commerce de mercerie ne marche plus du tout, et ce n’est pas avec les rentes de ma dot que nous pouvons vivre. Chaque jour j’entame le capital pour te nourrir et te do

– Réfléchis, ne refuse pas comme ça. Je te dis que je veux cinq mille francs, et je les aurai, tu me les do

Cet entêtement tranquille irrita Thérèse et acheva de la soûler.

«Ah! je sais, cria-t-elle, tu veux finir comme tu as commencé… Il y a quatre ans que nous t’entretenons. Tu n’es venu chez nous que pour manger et pour boire, et, depuis ce temps, tu es à notre charge. Monsieur ne fait rien, monsieur s’est arrangé de façon à vivre à mes dépens, les bras croisés… Non, tu n’auras rien, pas un sou… Veux-tu que je te le dise, eh bien! tu es un…»

Et elle dit le mot. Laurent se mit à rire en haussant les épaules. Il se contenta de répondre:

«Tu apprends de jolis mots dans le monde où tu vis maintenant.»

Ce fut la seule allusion qu’il se permit de faire aux amours de Thérèse. Celle-ci redressa vivement la tête et dit d’un ton aigre:

«En tout cas, je ne vis pas avec des assassins.»

Laurent devint très pâle. Il garda un instant le silence, les yeux fixés sur sa femme; puis, d’une voix tremblante:

«Écoute, ma fille, reprit-il, ne nous fâchons pas; cela ne vaudrait rien, ni pour toi, ni pour moi. Je suis à bout de courage. Il serait prudent de nous entendre, si nous ne voulons pas qu’il nous arrive malheur… je t’ai demandé cinq mille francs, parce que j’en ai besoin; je puis même te dire que je compte les employer à assurer notre tranquillité.»

Il eut un étrange sourire et continua:

«Voyons, réfléchis, do

– C’est tout réfléchi, répondit la jeune femme, je te l’ai dit, tu n’auras pas un sou.»



Son mari se leva avec violence. Elle eut peur d’être battue; elle se fit toute petite, décidée à ne pas céder sous les coups. Mais Laurent ne s’approcha même pas, il se contenta de lui déclarer froidement qu’il était las de la vie et qu’il allait conter l’histoire du meurtre au commissaire de police du quartier.

«Tu me pousses à bout, dit-il, tu me rends l’existence insupportable. Je préfère en finir… Nous serons jugés et condamnés tous deux. Voilà tout.

– Crois-tu me faire peur? lui cria sa femme. Je suis tout aussi lasse que toi. C’est moi qui vais aller chez le commissaire de police, si tu n’y vas pas. Ah! bien, je suis prête à te suivre sur l’échafaud, je n’ai pas ta lâcheté… Allons, viens avec moi chez le commissaire.»

Elle s’était levée, elle se dirigeait déjà vers l’escalier.

«C’est cela, balbutia Laurent, allons-y ensemble.»

Quand ils furent descendus dans la boutique, ils se regardèrent, inquiets, effrayés. Il leur sembla qu’on venait de les clouer au sol. Les quelques secondes qu’ils avaient mises à franchir l’escalier de bois leur avaient suffi pour leur montrer, dans un éclair, les conséquences d’un aveu. Ils virent en même temps les gendarmes, la prison, la cour d’assises, la guillotine, tout cela brusquement et nettement. Et, au fond de leur être, ils éprouvaient des défaillances, ils étaient tentés de se jeter aux genoux l’un de l’autre, pour se supplier de rester, de ne rien révéler. La peur, l’embarras les tinrent immobiles et muets pendant deux ou trois minutes. Ce fut Thérèse qui se décida la première à parler et à céder.

– Après tout, dit-elle, je suis bien bête de te disputer cet argent. Tu arriveras toujours à me le manger un jour ou l’autre. Autant vaut-il que je te le do

Elle n’essaya pas de déguiser davantage sa défaite. Elle s’assit au comptoir et signa un bon de cinq mille francs que Laurent devait toucher chez un banquier. Il ne fut plus question du commissaire, ce soir-là.

Dès que Laurent eut de l’or dans ses poches, il se grisa, fréquenta les filles, se traîna au milieu d’une vie bruyante et affolée. Il découchait, dormait le jour, courait la nuit, recherchait les émotions fortes, tâchait d’échapper au réel. Mais il ne réussit qu’à s’affaisser davantage. Lorsqu’on criait autour de lui, il entendait le grand silence terrible qui était en lui; lorsqu’une maîtresse l’embrassait, lorsqu’il vidait son verre, il ne trouvait au fond de l’assouvissement qu’une tristesse lourde. Il n’était plus fait pour la luxure et la glouto

De son côté Thérèse sortit de moins en moins. Pendant un mois, elle vécut comme Laurent, sur les trottoirs, dans les cafés. Elle rentrait un instant, le soir, faisait manger Mme Raquin, la couchait, et s’absentait de nouveau jusqu’au lendemain. Elle et son mari restèrent, une fois, quatre jours sans se voir. Puis elle eut des dégoûts profonds, elle sentit que le vice ne lui réussissait pas plus que la comédie du remords. Elle s’était en vain traînée dans tous les hôtels garnis du quartier Latin, elle avait en vain mené une vie sale et tapageuse. Ses nerfs étaient brisés, la débauche, les plaisirs physiques ne lui do

Lorsque les deux meurtriers se retrouvèrent ainsi face à face, lassés, ayant épuisé tous les moyens de se sauver l’un de l’autre, ils comprirent qu’ils n’auraient plus la force de lutter. La débauche n’avait pas voulu d’eux et venait de les rejeter à leurs angoisses. Ils étaient de nouveau dans le logement sombre et humide du passage, ils y étaient comme empriso

Les querelles du soir recommencèrent. D’ailleurs les coups, les cris duraient tout le jour. À la haine vint se joindre la méfiance, et la méfiance acheva de les rendre fous.

Ils eurent peur l’un de l’autre. La scène qui avait suivi la demande des cinq mille francs se reproduisit bientôt matin et soir. Leur idée fixe était qu’ils voulaient se livrer mutuellement. Ils ne sortaient pas de là. Quand l’un d’eux disait une parole, faisait un geste, l’autre s’imaginait qu’il avait le projet d’aller chez le commissaire de police. Alors, ils se battaient ou ils s’imploraient. Dans leur colère, ils criaient qu’ils couraient tout révéler, ils s’épouvantaient à en mourir; puis ils frisso