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Elle claqua sa portière et fit quelques pas sur l'esplanade qui bordait le hangar. Le bâtiment était plongé dans la plus totale obscurité. Elle aperçut un vasistas ouvert au milieu de la paroi de métal mais aucune lumière n'en parvenait. Visiblement l'entrée se trouvait du côté de cette rampe qui descendait vers les flots, avec les rochers entassés. Elle allait faire le tour du bâtiment lorsqu'une silhouette s'encadra, dans l'obscurité.

Elle eut un petit sursaut mais reco

– C'est moi, Anita… je vous attendais dehors car nous ne voulions pas laisser la porte ouverte ni allumer la lumière.

Un petit sourire apprenait à Anita que cette idée venait de lui.

Il composa un code sur un interphone et Anita vit la haute porte basculer légèrement en se hissant doucement vers le haut, dans un bruit de moteur électrique.

– Voici la Manta…, laissa-t-il tomber en présentant de la main le voilier qui apparaissait dans l'obscurité du hangar, comme un étrange bateau fantôme.

Elle discerna une lumière à l'intérieur du bateau, une lueur pâle provenant d'une cabine.

– Ils sont à l'intérieur, dit Hugo.

Elle l'observa avec un sourire tandis que la porte se dérobait vers le ciel. Il tourna légèrement la tête vers elle et ses lèvres se fendirent, à son tour, d'un arc à la fois malicieux et grave.

– Cette histoire s'achève… Pour moi en tout cas…

Anita ne répondit rien mais dut s'avouer qu'une sorte de pincement au cœur était entrain de faire son apparition. Elle exhala un petit soupir, qu'elle espéra inaudible, lorsque Hugo la précéda dans le hangar

Elle avait l'impression que les étoiles étaient beaucoup plus brillantes, et plus nettes, là, tout à coup.

– Venez… Il est temps que vous rencontriez Travis… C'est un homme tout à fait éto

Son petit sourire ne l'avait pas quitté et Anita se demanda pourquoi.

Hugo s'approcha d'un pa

Hugo la conduisit à l'arrière du voilier. Près d'une des cales de métal qui maintenaient l'embarcation droite et stable sur le sol, une échelle menait sur le pont et Hugo l'escalada promptement.

Lorsque Anita accéda à son tour en hàut de l'échelle, il était là et lui tendait la main. Elle fut surprise de constater qu'elle ne refusait pas son geste. Lorsque leurs mains se touchèrent et qu'il l'accompagna pour prendre pied sur le pont, une sorte de chaude vibration électrique la parcourut de part en part mais elle en refusa l'idée. Elle se dégagea vivement et suivit le jeune homme dans les entrailles du bateau.

Sous une sorte de bulle de Plexiglas fumé, une petite écoutille dévoila une échelle de métal qui plongeait vers une coursive. De la lumière provenait du fond de la coursive. Elle se retrouva devant une petite porte. Le corridor était bas de plafond et tous deux se tenaient courbés pour parvenir jusque-là.

Hugo ouvrit la porte et une flaque jaune se déversa dans le couloir.

Dans la pièce, Pinto, Alice et un homme qu'elle ne co

Une petite lampe à butane brillait dans un coin.

Hugo s'effaça pour la laisser entrer puis la devança pour se placer au centre de la pièce, à midistance d'elle et de l'inco

– Anita Van Dyke… Stephen Travis.

L'homme se levait déjà de sa chaise et s'avançait en lui tendant la main. Un franc sourire armait ses lèvres.

Elle contempla le père d'Alice, en lui rendant sa poignée de main. Le visage buriné par l'eau de mer et le soleil, mais aussi les cernes et les pommettes saillantes. Elle se souvint de ce que Pinto lui avait raconté sur la toxicomanie de Travis.

Elle se rendit compte que les traits d'Hugo aussi semblaient creusés. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas passé une vraie nuit.

– Désirez-vous boire quelque chose, mademoiselle?

L'homme montrait sa table rétractable encombrée de quelques bouteilles de soda vides et d'une bouteille de whisky.

– Non, je vous remercie…

– Voulez-vous visiter le bateau, alors?

Anita se balança sur ses pieds, mal à l'aise.

– Non, je vous remercie, monsieur Travis, mais en fait…

Elle hésitait à rompre ainsi l'harmonie qui semblait régner ici. Alice, comme transfigurée, debout aux côtés de son père, l'air visiblement radieux, Pinto, un franc sourire aux lèvres, achevant un verre de whisky-soda, certainement. Hugo, le visage détendu malgré la fatigue et le poids de son sac de sport qu'il remettait en place difficilement sur son épaule. Le jeune homme ne la quittait pas des yeux, une lueur amusée dans le regard. Comme s'il savait ce qu'elle avait à dire.

Elle prit une inspiration et se lança.

– Écoutez, vous imaginez bien que votre témoignage, ainsi que celui d'Alice, va nous être nécessaire si nous voulons confondre Eva Kristensen… Je… Je dois vous conduire au commissariat de Faro.

Un silencé de plomb s'abattit sur la petite cabine.

Elle vit Hugo caler son fardeau sur son épaule en poussant un vague soupir avant de le relâcher lourdement par terre.

– Bon… Je vais chercher la Fiat.

Il s'extirpa de la cabine et Anita fit face au père d'Alice qui la fixait froidement du regard.

Elle finit par lâcher, devant le désespoir qui se peignait sur les traits d'Alice:

– Écoutez… je vais faire un tour. Réfléchissez… Je… je vous laisse prendre votre décision en toute conscience.

Elle ignorait complètement l'origine de l'élan qui la poussait à faire cela.

Elle était déjà dans la coursive et remontait la petite échelle.

La vibration de la porte qui s'ouvrait couvrait le ressac de l'Océan.



Il s'élançait à l'extérieur lorsqu'il entendit une voix éclater derrière lui:

– Hugo… Attendez!

Il se retourna pour voir Anita longer le bateau à sa rencontre. Il lui offrit un petit sourire et reprit son chemin.

– Attendez… Bon dieu…

Anita parvenait à ses côtés.

Elle l'attrapa par le bras.

– Où elle est, votre voiture?

Hugo montra la plage qui s'étendait vers le sud.

– On l'a laissée de l'autre côté… Il faudra que je récupère la piste qui mène au hangar un peu plus haut, d'après ce que m'a dit Travis…

Il marcha vers les rochers entassés pour descendre sur le sable.

– Vous… Vous ne fermez pas la porte?

Hugo lui fit face. Elle se tenait à deux mètres de lui. Ses cheveux fauves tombaient sur son blouson. Au-dessus d'eux la voûte étoilée déployait une toile aux dimensions de l'Univers. Son regard était d'une couleur lunaire dans la pénombre. Le hangar dressait une haute tache laiteuse derrière elle. Elle était incomparablement belle. Il ne pouvait détacher ses yeux de son visage ovale aux traits doux et délicats, de son teint d'ivoire sous le rayo

– On… On devrait fermer cette porte, vous savez…

La tension de sa voix extirpa Hugo de sa rêverie.

– Oui… Oui, bien sûr, vous avez raison.

Il marcha jusqu'au hangar et appuya sur le bouton qui déclenchait la fermeture.

– Vous savez, reprit-elle, je n'ai pas voulu le dire tout à l'heure, je ne voulais pas inquiéter Alice et son père… Mais, deux hommes sont passés peu après vous à l'auberge de Jorge.

Hugo se réveilla tout à fait.

– Deux hommes?

– Oui. D'après la description, il s'agit sûrement de Vondt et d'un autre homme que je n'ai pas pu identifier…

– Oh merde, siffla-t-il entre ses dents.

Il frôla de la main l'endroit où le Ruger bombait son blouson, afin de sentir sa présence rassurante.

– Je… J'ai appelé mes collègues de Faro sur la route. Ils ont demandé aux patrouilles locales de redoubler de vigilance… Je… je peux vous accompagner?

Hugo la regarda un instant, interloqué et partagé par mille sentiments contradictoires.

– Je… j'ai dit à Travis que je leur laissais un peu de temps pour en parler et réfléchir… ils en ont sûrement besoin…

Ça, pour sûr, pensait-il, Travis allait avoir besoin de réfléchir.

– Vous permettez que je vous accompagne? Moi aussi j'ai besoin de prendre l'air.

Hugo sentit son cœur légèrement accélérer. Oh, merde, il sentait même ses mains devenir moites, là, à l'instant.

– Oui, bien sûr, lâcha-t-il d'un ton qu'il voulait badin et détendu.

Anita se synchronisa à ses côtés.

Ouais, pensa-t-il en marchant à pas vif au ras de l'écume, dont la mousse laissée sur la plage semblait luire d'une fluorescence radioactive. Les types étaient de sacrés durs à cuire, et visiblement Mme Kristensen ne voulait pas lâcher le morceau…

– Qu'est-ce que vous comptez faire d'eux à Faro?

– Je vais confronter Alice et Koesler. Et demander à Travis de me dire tout ce qu'il sait sur Eva K.

– Vous avez une idée de l'endroit où elle planque?

Seul le rythme des vagues lui répondait, et il se dit que c'était la meilleure réponse, en définitive.

Eva Kristensen était là, quelque part, dans la nuit qui recouvrait l'Océan comme le plus parfait des camouflages.

Lorsqu'il ouvrit la portière, l'image de la mère d'Alice s'était durablement incrustée dans son esprit, bien qu'elle ne fût qu'une ombre, sans visage, une ombre qui se confondait avec la nuit.

Il essaya de la chasser de son écran intérieur en se raccordant à la silhouette qui se profilait derrière la glace passager. Il se pencha sur le côté pour actio

Anita prit place à ses côtés alors qu'il enfonçait la clé dans le Neiman. Il mit le moteur en route. Sans allumer les feux. Il passa son bras autour de l'appuie-tête pour se retourner vers la lunette. Il lui faudrait faire une marche arrière sur plus de deux cents mètres, sur cet étroit chemin de sable. Ensuite, d' après les indications de Travis, il lui faudrait remonter veri la piste qui menait au hangar.

Il allait passer la marche arrière lorsque leurs mains se touchèrent, par accident. Il venait de fouiller deux doigts dans une prise électrique. Leurs mains séparèrent vivement, comme animées de violentes forces répulsives.

Leurs yeux se croisèrent mais se quittèrent tout aussi rapidement.

Bon sang, se disait-il, mais quelle était donc cette sorte de vibration qui les faisait ainsi frémir à l'unisson?