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Le premier élément étranger, après l'élément normand, que nous voyons se mêlera la nationalité russe, fut l'élément byzantin. Tandis que les successeurs de Sviatoslaf ne rêvaient que la conquête de la Rome orientale, celle-ci entreprit et accomplit leur soumission spirituelle. La conversion de la Russie à l'orthodoxie grecque est un de ces événements graves, dont les suites ne peuvent être calculées, qui se développent durant des siècles, et changent parfois la face du monde. Il n'y a pas de doute qu'un demi-siècle ou un siècle plus tard, le catholicisme n'eût pénétré en Russie et n'en eût fait une seconde Croatie ou une seconde Bohême.

L'acquisition de la Russie fut une immense victoire pour l'empire expirant à Byzance et pour l'église humiliée par sa rivale. Le clergé de Constantinople, avec cette astuce qui le caractérise, le comprit fort bien; il entourait ses princes de moines et désignait les chefs de la hiérarchie cléricale. L'héritier, le défenseur, le vengeur de tout ce que l'église grecque avait souffert ou avait à souffrir fut trouvé, non en Anatolie, non en Antioche, mais dans un peuple qui touchait d'un côté à la Mer Noire et d'un autre à la Mer Blanche.

L'orthodoxie grecque forma un lien inséparable entre la Russie et Constantinople; elle affermit l'attraction naturelle des Slavo-Russes vers cette ville, et prépara par sa conquête regieuse la conquête future de la métropole orientale par le seul geuple puissant qui professât l'orthodoxie grecque.

L'église se jeta aux pieds des princes russes, lorsque Mahomet II entra en vainqueur à Constantinople, et, depuis ce temps, le clergé ne cessa de leur montrer du doigt le croissant sur l'église de Sainte-Sophie. M. Fallmerayer raconte dans ses Fragments de l'Orient, comme le clergé grec, était électrisé, lorsqu'on entendait la cano

A l'influence byzantine se joignit bientôt une influence encore plus étrangère à l'esprit occidental, l'influence mongole. Les Tartares passèrent sur la Russie comme une nuée de sauterelles, comme un ouragan démolissant tout ce qu'il rencontrait sur son chemin. Ils saccageaient les villes, brûlaient les villages, s entre-pillaient les uns les autres, et, après toutes ces horreurs, ils disparaissaient derrière les bords de la Mer Caspie



Le pouvoir des grands princes changea de caractère dès qu'ils eurent quitté Kiev. A Vladimir, ils devinrent plus absolus. Les princes commencèrent à considérer leur apanage comme leur propriété, ils se crurent inamovibles, héréditaires. A Moscou, les princes changèrent l'ordre de la succession, ce ne fut plus le frère aîné, mais le fils aîné qui succéda. Ils diminuèrent de plus en plus les apanages des autres membres de la famille. L'élément populaire ne pouvait être fort dans une ville jeune, sans traditions, sans coutumes. C'est là ce qui attachait le plus les princes à Moscou. L’dée d'une réunion de toutes les parties de l'Etat fut la pensée dirigeante de tous les princes de Moscou, depuis Ivan Kalita, type du souverain de cette époque, politique, fourbe, astucieux, adroit, cherchan t à s'assurer la protection des Mongols par la plus grande soumission, et en même temps s'emparant de tout et profitant de tout ce qui pouvait accroître sa puissance. Moscou progressait avec une célérité inouïe. Aux persévérances de ses princes se joignit sa position géographique. Moscou fut le véritable centre de la Grande-Russie, ayant en son pouvoir, à de petites distances de cent cinquante à deux cents kilomètres, les villes de Tver, Vladimir, Iaroslaf, Riazan, Kalouga, Orel, et dans une périphérie un peu plus étendue, Novgorod, Kostroma, Voronèje, Koursk, Smolensk, Pskov et Kiev.

La nécessité d'une centralisation était évidente; sans elle on ne pouvait ni secouer le joug mongol, ni sauver l'unité de l'Etat. Nous ne croyons pas cependant que l'absolutisme moscovite ait été le seul moyen de salut pour la Russie.

Nous n'ignorons pas quelle place pitoyable occupent les hypothèses dans l'histoire, mais nous ne voyons pas de motif pour rejeter sans examen toutes les probabilités en se renfermant dans les faits accomplis. Nous n'admettons nullement ce fatalisme qui voit une nécessité absolue dans les événements, idée abstraite, théorique, que la philosophie spéculative a importée dans l'histoire comme dans la nature. Ce qui a été, a certainement eu des raisons d'être, mais cela ne veut nullement dire que toutes les autres combinaisons aient été impossibles; elles le sont devenues-par la réalisation de la chance la plus probable, c'est là tout ce qu'on peut admettre. L'histoire est beaucoup moins fixe qu'on ne le pense ordinairement.