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Fandor, documenté sur les dispositions du wagon, savait qu’un garde, un gendarme, ou le plus souvent des agents de la Sûreté, voyagent, installés dans le couloir central, afin de veiller au bon ordre et, le cas échéant, couper court à toute tentative d’évasion. Il n’ignorait pas davantage que le wagon pénitentiaire ne sert que très rarement. On ne l’attelle en effet aux trains qui se rendent en province que lorsqu’il y a lieu de transporter le même jour pour la même destination un nombre important de priso

Fandor qui avait continué sa promenade le long du quai, après une attente qui devait lui paraître interminable, vit la locomotive manœuvrer dans les lointains de la gare, puis, s’atteler enfin à une masse grise, indistincte dans la nuit et avec de sourds halètements, de subits échappements de vapeur, reculer lentement, pour prendre sa place en tête du fourgon. L’employé qui l’avait renseigné ne s’était pas trompé, la locomotive avait bien été s’atteler au wagon pénitentiaire. Or, ce wagon, ce wagon rébarbatif fait de tôle, qui ne portait aucune vitre, où se découpaient seulement les minces jours de souffrance de tout petits volets aux mailles serrées, ce wagon pénitentiaire, Fandor le regardait avec des yeux que l’émotion, une émotion bizarre, eût-on cru, faisait troubles et indistincts. Fandor pourtant réagit :

— Crédibisèque, murmura-t-il, il ne sera pas dit que je me laisserai accabler par l’énervement au moment de réussir. Allons, je ne risque pas grand-chose… En ce qui la concerne, je suis prêt à tout.

Sans mot dire, Fandor revint sur ses pas. Il s’éloigna de la tête du train, il rentra sous la marquise et se dirigea vers la queue du convoi. Fandor sortait du quai où il venait de faire les cent pas, il s’élança bientôt, marchant de plus en plus vite, le long d’un quai voisin, sur lequel il s’engageait, tout en jetant un rapide coup d’œil pour s’assurer que nul employé n’avait remarqué son passage. Sur le quai où passait le jeune homme, un train de banlieue statio

Serré entre les deux trains, ayant peu de place disponible, le jeune homme se livrait à une opération bizarre. Il releva le col de sa veste, le ferma hermétiquement, au moyen des pattes qu’il comportait. Il ferma encore l’emmanchure de ses manches, assujettit sur son dos, au moyen d’une ceinture, le bienheureux sac qu’il portait, puis il tira de l’une de ses poches de très longues cordes, une mince courroie. Cela fait, prêt sans doute à l’expédition qu’il méditait, Jérôme Fandor toussa, rit, s’accroupit.

— Et maintenant, messieurs, dames, murmura le journaliste, en voiture !

Une seconde plus tard, Jérôme Fandor s’était glissé sous le compartiment pénitentiaire. Quelques minutes plus tard, il était sinon confortablement, du moins solidement attaché à l’essieu des roues du dernier boggey.

À cet instant, sur le quai du rapide, des portières claquaient, des employés pressaient les voyageurs, des coups de sifflets retentissaient. On allait partir. On partait. Or, Fandor, accroupi dans une position épouvantable, ne manifestait nullement l’envie de quitter son poste. Avait-il résolu de voyager ainsi, attaché à l’essieu sous le wagon pénitentiaire ? Que méditait-il donc ? Quel projet formidable et audacieux pensait-il réaliser ?

Jérôme Fandor, au moment précis où le rapide démarrait, tandis qu’il sortait de la gare, lentement d’abord, plus vite ensuite, franchissant les aiguilles, sautant au passage des blocs de sûreté, Jérôme Fandor songeait :

— Si rien n’est venu contrarier mes projets, si réellement tout s’est bien passé, je suis séparé d’Hélène par cinquante centimètres de tôle peut-être, et cinquante centimètres de tôle, ça se perce, ça se démolit.

***





Deux heures plus tard, le rapide de Cherbourg, à toute allure, filait dans la nuit noire. On avait dépassé Évreux, nul autre arrêt n’était à craindre avant une bo

Évreux dépassé, Jérôme Fandor dont les mains étaient écorchées, dont les vêtements étaient en lambeaux, dont le visage saignait, car une pierre arrachée du ballast l’avait frappé au front, Jérôme Fandor commençait à se délier. Il devait alors non seulement lutter contre la fatigue qui résultait de sa longue station sous le wagon, contre le froid qui roidissait ses membres, contre le vertige qui le prenait par moments, à considérer le sol fuyant tout près de lui, à une allure folle, mais encore il devait résister aux secousses de la vitesse. Le rapide, en effet, ayant le champ libre devant lui, fonçait dans la nuit, d’autant qu’il avait du retard à rattraper.

N’importe. Fandor, tranquillement, défaisait ses cordes, réalisait des prodiges d’équilibre, des merveilles d’adresse et de sang-froid, il se libérait, il était libre. Autour de lui, courant en-dessous du plancher du wagon une infinité de tuyauteries passaient. Il y avait là le canal central de l’air comprimé, puis encore des tuyaux de vapeur, les commandes des freins de secours, les canalisations électriques, les commandes de gaz d’éclairage, tout un enchevêtrement de câbles. C’était à ces câbles, à ces tuyaux, à ces conduites que Jérôme Fandor devait confier sa vie. Crampo

— Si rien ne cloche, songeait seulement le journaliste, si je ne me tue pas, je réussirai. Seulement voilà, j’ai beaucoup de chances de me tuer.

Complètement dégagé de l’essieu, il se trouvait maintenant suspendu au centre même du wagon, n’ayant plus d’autre appui que les tuyauteries branlantes auxquelles il se crampo

Jérôme Fandor se rendait compte qu’à côté de lui, rien d’autre ne pouvait lui permettre de s’accrocher… Les fils d’éclairage étaient trop faibles. La tuyauterie de secours était trop éloignée.

— Je suis fichu, se dit le journaliste. Jamais je n’arriverai au bout.

Il eut la force d’âme pourtant de ne pas précipiter la manœuvre. Aussi lentement qu’auparavant, avec des gestes aussi mesurés, il réussit à avancer d’un mètre encore. Mais aller plus loin c’était folie. Jérôme Fandor venait de s’apercevoir qu’une des pattes d’attache de la tuyauterie était défaite. Sans soutien dès lors, le tuyau ballottait à cet endroit. Il ne pouvait plus se confier à lui.