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Le regard du mendiant s’était évadé. Il semblait avoir tout oublié du jardin sauvage et revivre la scène d’horreur qu’il décrivait.

– On dirait… que vous y étiez, vous aussi ? murmura Morosini.

Ce fut suffisant pour le ramener sur terre. Il considéra un instant son compagnon sans rien dire.

– Peut-être que j’y étais… Peut-être que je l’ai rêvé. Dans cette ville le passé n’est jamais bien loin…

– Que devint-elle ?

– Elle se retrouva seule. Son crime était de ceux qui inspirent le dégoût. Pourtant, elle pensait que les choses s’arrangeraient avec le temps. Les biens de son père avaient été saisis mais elle avait réussi à conserver de l’or, ses bijoux et surtout un rubis qu’on lui avait interdit de porter parce qu’il était une pierre sacrée, et le plus cher trésor secret de Diego de Susan….

La gorge du prince-antiquaire se sécha d’un seul coup : se pouvait-il qu’il eût découvert une piste ?

– Une pierre sacrée ? souffla-t-il. Comment cela ?

– Jadis… Il y a bien longtemps, elle ornait avec onze autres pierres le pectoral du Grand Prêtre au Temple de Jérusalem. Toutes ensemble, elles représentaient les douze tribus d’Israël. Ne me demandez pas, cependant, comment le rubis, symbole de Juda, était arrivé aux mains de Diego. Il semble que sa famille l’ait possédé depuis plusieurs générations mais il était pour lui le signe tangible de son appartenance profonde à la foi de Moïse.

Le poron était vide. Morosini en tira un autre de son sac, pour le ravissement de son compagnon, mais, cette fois, il l’inaugura lui-même. La chance venait de lui faire découvrir un fil conducteur vers la dernière pierre manquante, celle dont Simon Aronov disait qu’il ne savait trop où la chercher. Cela méritait d’être fêté, ne fût-ce qu’avec une simple rasade de manzanilla. Même si entre savoir où le rubis se trouvait au XV esiècle et mettre la main dessus, il y avait une sérieuse différence.

Reco

– Et ce joyau, Catalina voulait s’en parer ?

– Bien sûr. Peu soucieuse de religion la « Susana » – on l’appelait ainsi – croyait qu’il devait conférer l’éternité à sa beauté. Pourtant elle n’a pas pu le garder.

– On le lui a volé ?

– Non. Elle l’a do

– Que l’évêque s’empressa de garder pour lui ?

– Pas du tout. Il la remit à la Reine et plaida même la cause de la parricide en la présentant comme fortement attachée à l’Église et rejetant avec dégoût la conduite équivoque de son père. Isabelle, alors, la fit entrer dans un couvent, mais ce n’était pas ça que la Susana voulait. Ce qu’elle voulait, c’était retrouver Miguel. Ses excès de fureur la firent chasser. Dès lors, il ne lui restait plus pour vivre que la prostitution. Cela ne l’effrayait pas. Elle se réinstalla dans cette maison dont perso



– Sait-on quelque chose de cette malédiction ? N’y a-t-il aucune rémission possible pour l’âme en peine de Catalina ?

– Peut-être. Si elle pouvait retrouver la pierre sacrée pour la restituer aux enfants d’Israël, la paix descendrait sur elle. C’est pourquoi chaque a

– Et c’est toujours à la Casa de Pilatos qu’elle va ? Le rubis du portrait serait celui qu’elle recherche ?

– Oui. La reine Isabelle en a fait don à sa fille, Juana, quand celle-ci est partie pour les Pays-Bas épouser le fils de l’empereur Maximilien, ce Philippe le Beau qui l’a rendue folle… Vous dire ce qu’il est devenu ensuite, j’en suis incapable, señor… et je vous ai appris tout ce que je sais.

– C’est déjà beaucoup et je vous remercie, dit Morosini en tirant de sa poche une enveloppe contenant la récompense promise. Mais, avant de nous séparer, j’aimerais entrer dans cette maison.

Diego Ramirez fourra l’enveloppe sous sa blouse après en avoir évalué le contenu d’un vif coup d’œil, mais fit ensuite la grimace :

– Il n’y a rien a voir sinon des décombres, des rats et des toiles d’araignées.

– Et Catalina ? N’avez-vous pas dit qu’elle la hantait ?

– La nuit ! Seulement la nuit ! grinça le mendiant soudain nerveux. Les fantômes, c’est bien co

– En ce cas il n’y a rien à craindre. Venez-vous ?

– Je préfère vous attendre ici… mais pas trop longtemps ! Cette porte-là n’est pas fermée à clé et s’ouvre sans peine… Vous pouvez la voir d’ici, derrière la cinquième colo

Aldo n’eut aucune peine à pénétrer dans l’univers désolé décrit par son compagnon. Deux salles à l’abandon sous des plafonds de cèdre dont les élégantes sculptures subsistaient avec, parfois, un reste de couleur. Au fond de la seconde, un escalier aux céramiques fendues s’envolait vers l’étage, mais on le distinguait mal tant les ombres semblaient épaisses.

Il faisait froid dans la maison abando

– Qu’est-ce qui m’arrive ? marmotta-t-il. Je ne suis tout de même pas en train de devenir médium pour être ainsi affecté par l’invisible ?

Et soudain, il la vit, ou plutôt il l’aperçut car ce qu’un visage aux contours mal définis, au milieu des ombres massées près de l’escalier mais c’était bien celui de la femme qu’il avait suivie la veille.C’était comme une fleur voilée de brume au milieu des ténèbres, une fleur sans tige mais capable d’exprimer toute la souffrance du monde. Les gens que l’on suppliciait devaient avoir cette expression douloureuse. Alors, presque malgré lui, Aldo parla d’une voix pleine de douceur :

– Le rubis, Catalina, je le cherche aussi, je le cherche pour le rendre au peuple d’Israël. Quand je l’aurai trouvé, je viendrai vous le dire… et je prierai pour vous !

Il crut percevoir un soupir et ne vit plus rien. Alors, comme il venait de le promettre, il prononça à haute voix les paroles du « Notre Père »,, fit un signe de croix et regagna le jardin. La sensation de malaise éprouvée tout à l’heure s’était dissipée, le laissant au contraire plus fort et plus déterminé que jamais. La mission confiée par Simon lui semblait plus noble encore s’il pouvait y joindre le sauvetage d’une âme en perdition.