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— Oh, je n’y suis pas tous les soirs. Ça dépend des courses que je fais avec mes clients, mais, quand je le peux, je viens avec l’idée qu’une nuit peut-être il se passera quelque chose qui me mettra sur la voie de l’assassin de Piotr. J’ai essayé une fois de parler avec elle, mais c’est une drôle de femme ! En même temps craintive, méfiante et têtue. Je me suis même demandé si, sous la torture, elle laisserait échapper un mot sur l’homme pour qui elle travaillait la nuit de Saint-Ouen…

— Et cette voiture ? Vous n’avez jamais tenté de la suivre ?

— Si, bien sûr, mais je commence à me faire vieux. J’ai des rhumatismes et je ne suis plus aussi solide qu’autrefois. Alors je vous avoue que risquer ma vie – et je ne suis pas seul, il y en a qui ont besoin de moi – pour tomber peut-être dans une embuscade ne me dit vraiment rien.

Il hésita un instant, puis reprit :

— Je dois vous dire qu’un soir j’ai pris la piste Jusqu’à la porte Maillot seulement. Quand je l’ai vue plonger dans le plus épais du bois de Boulogne j’ai fait demi-tour…

— Eh bien, ce soir on ne fera pas demi-tour. Vous êtes armé ?

— Toujours ! La nuit on ne sait jamais sur qui on tombe et ça, c’est très dissuasif, ajouta Karloff en tirant de dessous son siège un ancien pistolet d’ordo

— Comme j’ai moi aussi ce qu’il faut, nous voila parés ! s’écria joyeusement Adalbert. En avant toute !

Suivre une automobile dans des rues désertes sans se faire repérer n’est pas un exercice facile. Le colonel Karloff semblait y exceller, laissant à l’adversaire une distance suffisante pour ne pas attirer son attention. On alla ainsi jusqu’à la porte Maillot encore éclairée par les lumières de Luna-Park et quand la grosse Renault s’engagea dans l’allée menant à Longchamp, le taxi de Karloff s’y glissa à son tour, mais, à la surprise d’Adalbert, éteignit ses phares :

— Vous allez nous perdre…

— Aucun danger ! Il suffit de ne pas quitter de vue son feu arrière, et puis moi je suis comme les chats : j’y vois très bien la nuit !

— Un talent précieux, apprécia Adalbert en se rejetant dans le siège.

On traversa ainsi le Bois sur toute sa largeur pour rejoindre à Boulogne le quai de la Seine que l’on suivit jusqu’au pont de Saint-Cloud et même au-delà, car on s’engagea dans la rue Dailly, qui escaladait en forte pente le coteau en formant, à mi hauteur, un grand virage. Or, quand le taxi atteignit ce virage, force lui fut de constater que le véhicule avait complètement disparu. Karloff s’arrêta à raser un mur et descendit, suivi d’Adalbert, pour examiner les alentours et l’entrée des différentes artères dont les unes montaient vers l’église et les autres se dirigeaient vers Suresnes, mais l’œil rouge du feu arrière ne brillait nulle part.

— Eh bien, on l’a perdu ! soupira Adalbert en s’asseyant sur le marchepied du taxi. Au point où nous en sommes, il faudrait fouiller tout Saint-Cloud !

— Et là, j’avoue que je ne co

— Moi si ! J’ai une maison, dans ce coin, un peu plus bas.

— Une maison ? On pourrait peut-être y aller ?

— Pour quoi faire ? bougo

— Ça c’est triste ! Et ils ne vous ont rien laissé ? Pas même une bouteille de vin ? déplora Karloff en venant s’asseoir près de son client qui lui offrit un nouveau cigare en guise de compensation.

— Pas même, non ! Mais vous savez, je n’y venais pas souvent. Elle me servait plutôt… d’entrepôt. Je suis archéologue et tout ce que j’ai pu rapporter de mes campagnes n’entrait pas dans mon appartement de la rue Jouffroy !

Les deux hommes fumèrent un moment silence, attendant Dieu sait quoi peut-être que l’automobile reparaisse…

— Dites donc ! reprit Vidal-Pellicorne. Il y quelque chose que je m’explique pas.

— Quoi ?

— Le mal que se do

— Mais qui s’appelle Marie Raspoutine et dont le prince Morosini, vous et moi savons qu’elle est plus ou moins à la dévotion de Napoléon VI. Seule la police l’ignore parce que Morosini est un vrai gentleman et, selon moi, ce qu’ils voulaient éviter c’est ce qui allait se produire ce soir : qu’un admirateur l’approche, lui fasse du plat, l’emmène souper, par exemple, et avec quelques verres de champagne lui tire les vers du nez. Alors ils ont fabriqué la légende d’un riche protecteur qui vient la chercher tous les soirs pour l’emmener finir la nuit ailleurs, mais qui en fait la ramène chez elle entre un quart d’heure et une demi-heure plus tard…

— …Et le protecteur qui n’est peut-être pas riche reste avec elle pour une surveillance rapprochée tandis que la voiture, un peu trop « chic » pour le quartier, s’en va remiser à Saint-Cloud ? compléta Adalbert. Ça me paraît un peu compliqué. Ce serait évidemment plus simple d’installer Mme Raspoutine dans un meilleur quartier et de lui faire avoir un engagement dans un beau music-hall ?

— Plus simple mais sûrement plus cher. Or je ne suis pas certain que votre Napoléon roule sur l’or. Quelque chose me dit qu’il a de gros besoins d’argent. Au fait, est-ce que je vous ai dit que la voiture qu’on vient de suivre est la même que celle de Saint-Ouen ? Avec un autre numéro…





— Non, vous ne me l’avez pas dit, mais au fond ça ne nous avance guère… sinon à nous prouver que les protecteurs de Marie sont bien les assassins du tzigane.

Karloff fuma un moment sans rien dire, uniquement attentif au plaisir d’un tabac de luxe. Puis, se levant :

— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?

— Je ne vois pas ce qu’on pourrait faire d’autre que rentrer. Si vous voulez bien me ramener chez moi ?

— Bien sûr ! Cependant, si j’étais vous et que j’aie ici une maison, même vide, je crois que j’y ferais un petit séjour. Ne serait-ce que pour observer les environs.

— J’y pensais, mais ça ne peut pas se faire cette nuit. Cependant, à y réfléchir, il me vient une autre idée. Pour laquelle j’aurai besoin de vous.

— Dites toujours…

— Au lieu de pister la voiture, pourquoi ne pas venir l’attendre au tournant ? Une expression très juste en l’occurrence. On vient ici, on cache le taxi et on fait le guet ! Qu’en dites-vous ?

— Que ça pourrait marcher ! fit Karloff avec enthousiasme. C’est une rudement bo

En rentrant chez lui, Adalbert trouva Théobald qui l’attendait en faisant des réussites sur la table de la cuisine.

— Pourquoi n’es-tu pas encore couché ? Je t’avais dit de ne pas m’attendre.

— Je sais, mais j’ai un message urgent à délivrer.

— Tu sais écrire, non ? Do

— Monsieur fume trop ! décréta Théobald en se mettant en devoir de servir ce qu’on lui demandait.

Adalbert but avidement non pas un, mais deux verres de Vichy :

— Alors, ce message ?

— Mlle du Plan-Crépin a téléphoné. Madame la Marquise veut voir Monsieur dès qu’il rentrera même si c’est très tard.

— Il est très tard ! protesta Adalbert. Ça veut dire qu’il faut que j’y aille malgré tout ?

— Hé oui !

— Mais le parc Monceau est fermé à cette heure. Je vais être obligé de faire le détour.

— Monsieur peut prendre sa voiture ?

— Elle est fantastique, mais elle fait un boucan d’enfer : je vais réveiller le quartier !

— Alors Monsieur va à pied… et je vais accompagner Monsieur. À deux on se sent moins seul !

— Signé La Palice ! grogna Adalbert en s’octroyant un troisième verre, mais cette fois c’était du bordeaux. Il avait besoin de reprendre des forces.

Un moment plus tard, tous deux trottaient en direction de la rue Alfred-de-Vigny et Adalbert, qui commençait à avoir sommeil, songeait avec nostalgie au confortable taxi du colonel Karloff ou aux sièges de cuir dur de sa petite Amilcar, en se demandant pourquoi la marquise tenait absolument à le voir d’urgence sans attendre que le jour se lève. Il était en outre mécontent de n’avoir pu convaincre Théobald de rester à la maison quand, au coin de la rue Cardinet, deux ombres suspectes qui se détachèrent du renfoncement d’une porte pour se dissoudre dans la nuit lui firent comprendre que la précaution n’était peut-être pas vaine. Fatigué comme il l’était, il aurait mis doute eu le dessous en cas d’attaque, et la silhouette de Théobald, raide comme un parapluie sous son long pardessus noir, le melon enfoncé sur sa tête jusqu’aux sourcils, évoquait non seulement la force tranquille mais vous avait un petit air de policier nettement dissuasif.