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— Vous me sauvez, Monsieur, et j’espère que Dieu vous le rendra. Sachez encore que moi je n’ai jamais tué perso

— Je l’espérais. À présent j’en suis sûr !

Quand on sortit de la Tavern c’était l’heure noire entre toutes qui précède l’aube. La pluie reprenait après avoir cessé un moment, activée par un vent froid venu du nord.

— La Season commence bien mal ! remarqua Ted Mawes. D’habitude à cette époque, on aurait plutôt tendance à avoir chaud.

— Vous craignez que la vie mondaine n’ait à en souffrir ?

— Pas vraiment. Les réceptions varieront un peu. On tendra des vélums sur les jardins et le champagne coulera quand même à flots…

— Le champagne ? Et la Prohibition alors ?

— Vous ne voudriez pas que l’élite de la société new-yorkaise s’en prive et se mette à la limonade ? On dit même qu’il existe un pipe-line de whisky avec le Canada. La Police sait trop bien de quel côté sa tartine est beurrée. Elle n’aura guère que six semaines à fermer les yeux…

Un moment plus tard Agostino dûment embarqué, les deux hommes revinrent l’un vers la Tavern l’autre vers sa chambre sous les roses trémières. Avant de se séparer, Ted avait dit :

— Vous je ne sais pas mais moi j’ai besoin de deux ou trois heures de sommeil pour me remettre les idées en place. Quelle histoire ! Vous y croyez ?

Devant eux les mâts des bateaux aux coques fraîchement repeintes dansaient dans le vent du matin. Sur les quais, les portes et les fenêtres pimpantes souvent habillées de lierre ou de fuchsias ouvraient sur les premiers balais du jour. En dépit du ciel gris et des bourrasques, l’image était plaisante, empreinte d’un charme ancien sur lequel l’agressive rougeur d’une pompe à essence ne pouvait pas grand-chose. Sous son imperméable mouillé, Aldo haussa les épaules :

— Difficile d’y croire quand on est devant un tel décor, n’est-ce pas ? Pourtant je suis persuadé que ce garçon a dit la vérité même si elle nous paraît abracadabrante. Derrière toutes les clartés il y a des ombres et il arrive que des vipères se glissent sous les roses.

— Il est beaucoup trop tôt pour la poésie, grogna Ted. Allez dormir ! Vous en avez besoin autant que moi !

Comme un rideau de théâtre qui se lève a

Chassé par cette agitation débordante, Aldo décida de faire une nouvelle tentative d’approcher Betty Bascombe. Cette femme qui errait si souvent aux abords du Palazzo et qui avait une si puissante raison d’en haïr le propriétaire devrait en savoir plus long que les autres habitants de l’île. Ted étant introuvable ce matin-là, il choisit de tenter sa chance en se passant de recommandation, enfourcha son vélo et partit en prenant soin d’éviter Bellevue Avenue et les endroits trop fréquentés. Grâce à Ted et à la carte placardée à l’entrée de la Tavern il en savait assez sur la configuration de l’île pour ne pas se perdre.

Cette fois elle était là. Assise sur l’une des marches en bois menant à sa maison, ses bras entourant ses jambes repliées, elle regardait la mer et, perdue dans sa rêverie, ne le vit pas arriver mais se retourna au crissement des freins. S’attendant à ce qu’elle s’enfuie ou s’enferme chez elle, Aldo prit les devants tandis qu’il posait son engin contre le tronc d’un pin :

— Mrs Bascombe, voulez-vous me permettre de parler un moment avec vous ? Je suis venu récemment avec Ted Mawes chez qui je loge mais vous étiez en mer.

— Parler de quoi ?





— De l’homme qui vous a fait tant de mal. Le hasard m’a fait découvrir cette nuit certains faits susceptibles de vous intéresser.

— Si vous venez m’a

— Mon chemin a rejoint le vôtre depuis un bon moment et, pour aujourd’hui, vous en êtes le but. Il faut que je vous parle. C’est important.

Elle haussa les épaules mais se poussa pour lui ménager une place auprès d’elle en lui faisant signe de la rejoindre. En même temps elle fouillait dans son chandail informe, en tirait un paquet de cigarettes, s’en collait une au coin de la bouche et se disposait à l’allumer mais le réflexe d’Aldo fut rapide et la flamme de son briquet apparut au bout du mince rouleau de tabac. Le briquet était en or et Betty leva un sourcil :

— Bel objet ! On dirait que chez vous les peintres font bien leurs affaires ? fit-elle avec un léger dédain.

— Je vous ai dit que j’étais aussi… et surtout antiquaire. J’ajoute spécialisé dans les bijoux historiques !

— Ah je vois ! c’est pour ça que vous vouliez entrer chez lui l’autre jour. Vous vouliez les voir ?

— Cessez donc de me confondre avec un voleur. Ce que je veux je le paie ! Quant à Ricci ce sont moins ses possessions que sa perso

La femme tressaillit. Cette fois sa carapace montrait une fêlure :

— Il va en épouser encore une autre ? Il doit être fou car, cette fois, mon pauvre Peter ne sera plus là pour endosser le massacre.

— Fou, je ne crois pas mais soumis en totalité à une volonté plus forte que la sie

Elle l’écouta sans un mot, sans une exclamation mais quand ce fut fini elle se prit la tête à deux mains, fourragea dans ses courts cheveux gris et laissa un instant ses paumes plaquées sur son visage. Aldo respecta son silence et attendit qu’elle parle. Cela dura jusqu’à ce que les mains retombent sur les genoux de Betty.

— Vous dites que Ted a entendu lui aussi cette histoire ?

— Nous avons tout partagé.

— Et qu’en pensez-vous ?

— Ho

— Je pense qu’il doit avoir raison. Il y a un secret dans cette maudite baraque. Ce qui expliquerait la présence de ces gens qui y vivent en permanence même quand Ricci n’y est pas alors que trois ou quatre gardes suffiraient pour protéger les richesses et il y en a une quantité à ce que l’on dit ! Ils sont là pour garder… autre chose. J’ai trop souvent observé le Palazzo pour douter de ce que vous a appris cet Agostino.

— En ce cas qui pensez-vous que ce soit ? Un fou ?

— Un fou qui tiendrait Ricci sous sa coupe et l’obligerait à une obéissance absolue ? Je dirais plutôt un cerveau… Peut-être un chef de la Mafia en Amérique ?

— Pour commettre de tels meurtres il faut avoir l’esprit dérangé… et je vois mal cet homme brutal, cynique et sans scrupules, ce maître d’un véritable empire financier asservi à un fou…