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— Je te demande pardon ! Je ne recommencerai pas !...-
Loyse lui sourit, sans rancune puis, prenant une mante épaisse, la jeta sur ses épaules :
— Je vais jusque chez les Pigasse voir comment va dame Magdeleine. Les choses se présentaient mal tout à l'heure. En même temps je dirai à Maman que tu es rentrée... de chez ton parrain. Je n'en aurai pas pour longtemps. Mange un morceau et couche-toi...
Catherine eut envie de retenir Loyse encore un moment mais son oreille fine ne décelait plus aucun bruit suspect dans l'atelier. Landry avait eu largement le temps de faire descendre Michel, de refermer la trappe et de rentrer chez lui. Loyse s'en alla à son tour.
Restée seule, la petite courut à la huche, y tailla un bon morceau de pain, puis elle emplit une écuelle du ragoût qui mijotait et qui était du mouton au jau- net (safran). Puis elle chercha dans un coffre un pot de miel, emplit un pichet d'eau fraîche. Il fallait profiter de cette solitude inespérée pour do
L'idée qu'il était là, sous ses pieds, à quelques pas d'elle, emplissait Catherine d'une joie profonde. C'était un peu comme si le toit de la maison était devenu une sorte de génie tutélaire dont les ailes protectrices s'étendaient à la fois sur elle et sur le fugitif. Il n'était pas possible qu'il arrivât rien de mauvais à Michel tant qu'il resterait sous l'égide de « l'Arche d'Alliance ».
Un instant, devant le miroir pendu au mur de la cuisine, elle s'arrêta, considérant attentivement son visage étroit. Ce soir pour la première fois de sa vie,
clic aurait voulu être jolie, mais jolie comme ces filles que les escholiers suivaient dans les rues et accostaient avec de grands rires.
Avec un soupir, Catherine hocha la tête en tâtant son corsage qui se gonflait à peine. Ses chances de subjuguer Michel étaient minces !
Elle reprit son chargement et se dirigea vers le magasin.
L'atelier de Gaucher était vide et silencieux. Les établis étaient rangés le long des murs avec leurs escabeaux, les outils soigneusement accrochés à des clous. Les grandes armoires, armées de ferro
Dans le sol une trappe pourvue d'un gros a
Elle ne vit pas Michel tout de suite parce que la resserre, prise dans une pile du pont, était plutôt encombrée. On y rangeait le bois, l'eau, les légumes de réserve, le saloir qui contenait un cochon tout entier et aussi des outils, des échelles. Cela formait une longue pièce basse et étroite, éclairée sur l'arrière par une petite fenêtre tout juste suffisante au passage d'un garçon mince.
— C'est moi, Catherine, chuchota-t-elle pour qu'il n'eût pas peur.
Quelque chose remua vers le tas de bois.
— Je suis là, derrière les fagots.
Elle le vit aussitôt, à la lueur de sa chandelle. Il avait ôté sa défroque de faux pèlerin et s'était couché dessus, le dos appuyé aux fagots. Les feuilles d'argent de sa tunique brillaient doucement dans l'ombre et la lueur jaune de la chandelle les tachait d'or pur. Il voulut se lever mais la jeune fille lui fit signe de ne pas bouger. Elle s'agenouilla auprès de lui, posant à terre le lourd plateau ; le ragoût fumait et sentait bon.
— Vous devez avoir faim, dit-elle doucement. Il vous faudra des forces et j'ai profité de ce que ma sœur était allée chez une voisine pour descendre. La maison est vide pour le moment. Mon père est à la Maison-aux-Piliers, ma mère chez celle de Landry qui est en mal d'enfant et Marion la servante je ne sais où. Si cela continue, vous n'aurez aucune peine à quitter Paris cette nuit. Landry reviendra vers minuit. Il n'est que dix heures.
— Cela sent bon, dit-il avec un sourire qui combla Catherine de joie. J'ai vraiment très faim...
Tout en attaquant le mouton à belles dents, il bavardait.
— Je ne peux pas encore croire à ma chance, petite Catherine !
Tout à l'heure, quand on m'emmenait, j'ai tellement pensé ma dernière heure venue que j'étais réellement prêt à quitter la vie. J'avais dit adieu à tout. Et voilà que vous m'avez ramené sur terre. C'est étrange !
Il avait l'air, tout à coup, très lointain. La fatigue et l'angoisse avaient tiré ses traits, mais, sous la lumière tremblante de la chandelle, ses cheveux brillaient autour de son beau visage. Il s'efforçait de sourire. Pourtant Catherine voyait dans ses yeux quelque chose de désespéré qui, soudain, lui fit peur.
— Mais... vous êtes content, n'est-ce pas, d'être ici ?
Il la regarda, la vit tout angoissée, frêle sous la parure brillante de sa chevelure répandue qui, en séchant, prenait tout son éclat. La robe verte qu'elle portait maintenant, lui do
— Je serais bien ingrat si je n'étais pas content, dit-il doucement.
— Alors... mangez un peu de miel. Et aussi, dites- moi à quoi vous pensiez, tout de suite. Vous aviez des yeux si tristes.
— Je pensais à mon pays. Sur le chemin de Montfaucon, c'était aussi à lui que je pensais. Je me disais que je ne le reverrais plus jamais et c'était cela, surtout, qui me faisait mal.
— Mais vous savez que vous le reverrez, maintenant, puisque vous allez être libre.
Michel sourit, prit une bouchée de pain qu'il trempa dans le miel et mâcha distraitement.
— Je sais, mais c'est plus fort que moi ! Il y a au fond de mon cœur quelque chose qui me dit que je ne retournerai jamais là-bas, à Montsalvy.
— Il ne faut pas penser à ça, fit Catherine sévèrement. Vous avez des idées noires parce que vous êtes fatigué, affaibli. Quand vous aurez repris vos forces, cl que vous serez en sûreté, tout ira mieux.
Mais le peu qu'il avait dit de son pays avait excité la curiosité de sa compagne. Elle était incapable de résister au besoin impérieux qu'elle avait d'en savoir davantage sur ce garçon qui la fascinait. Elle se glissa auprès de lui, le regardant avidement vider la-cruche d'eau.
— Comment est-ce votre pays ? Vous voulez bien m'en parler ?
— Bien sûr !
Michel ferma les yeux un moment, peut-être pour mieux revoir les chères images de son enfance. Il les avait appelées si ardemment, durant son interminable voie douloureuse qu'elles se formèrent aisément sur l'écran sombre des paupières closes.
Avec des mots simples, il évoqua pour Catherine son haut plateau battu des vents, sa lande granitique trouée de combes toutes ouatées de verts châtaigniers, son pays d'Auvergne hérissé de cratères éteints, le village de Montsalvy et ses maisons de lave tassées autour de leur abbaye, la forteresse familiale au flanc du puy et la petite chapelle de la Fontaine Sainte. En l'écoutant, Catherine croyait voir les champs de blé noir, les ciels lilas, au crépuscule, quand la chaîne des monts devient un cortège de fantômes bleutés, les eaux qui jaillissent, si blanches parmi les pierres toujours lavées, pour devenir noires en se perdant au fond des lacs, sertis de mousse et de granit comme de sombres escarboucles. Elle entendait aussi le vent du midi chantant de roche en roche, la plainte des tourmentes hivernales sur les chemins de ronde du château fort. Michel disait encore les troupeaux de moutons pâturant dans la lande, les bois hantés de loups et de sangliers et les ruisseaux tumultueux où sautaient les truites roses et argent. Et Catherine, fascinée, l'écoutait bouche bée, oubliant le lieu, oubliant l'heure qui passait.