Добавить в цитаты Настройки чтения

Страница 78 из 105

Avant qu'il parlât, Catherine avait compris que c'était là l'incendiaire de Montsalvy, le lieutenant du Castillan, le routier Valette. Il laissa peser un regard méchant sur les pauvres gens qui, instinctivement, se serraient les uns contre les autres, puis éclata d'un rire grinçant.

— Bande de lièvres peureux ! cria-t-il. Est-ce ainsi que vous entendez enterrer messire Carnaval ? Allons, il faut rire, et chanter... C'est le premier jour du Carême et vous allez pouvoir faire convenablement pénitence, mais, aujourd'hui, j'entends qu'on soit gai ! Que l'on chante ! C'est un ordre !

Les cloches s'étaient tues, un écrasant silence s'abattit sur la place. Le vent qui se levait faisait voltiger les cheveux de toutes ces têtes courbées, obstinées dans leur mutisme. Quelque part, un volet claqua... La voix usée de l'abbé parvint à Catherine comme du fond des âges.

— Mes enfants, commença-t-il doucement...

Mais, grossièrement, Valette coupa :

— La paix, l'abbé ! Vous n'avez pas la parole ! Alors, vous autres, vous avez entendu ? J'ai dit : chantez !... C'est une belle chanson que l'on chante pour enterrer messire Carnaval, n'est-ce pas ? « Adieu, pauvre Carnaval... » et qu'on y mette du cœur, je veux entendre tout le monde !

L'homme enchaîné s'était laissé tomber à terre, pleurant convulsivement. Autour de lui et sur les murs du couvent, les routiers de Valette bandaient leurs arcs, visant la foule terrifiée... Le cœur de Catherine manqua un battement. Une impuissante fureur montait en elle, contre cette brute et aussi contre Arnaud qui n'apparaissait pas. Où était-il ? Que lui était-il arrivé ? Vingt-cinq hommes ne s'évanouissent pas ainsi dans le brouillard...

Le gémissement de terreur qui s'était levé autour d'elle, orchestré par la plainte du vent, se muait peu à peu en un chant hésitant, grelottant et à peine audible, sorti de gorges contractées par la peur.

— Plus fort ! hurla Valette, sinon, je vous jure que vous allez vous taire définitivement !

Une flèche siffla, tirée en l'air, mais l'avertissement porta. Les voix se firent plus fortes. Une vague de fureur et de rage emporta Catherine. Elle allait se jeter, toutes griffes dehors, sur le féroce chef de bande, sans même réfléchir aux conséquences, parce qu'elle ne savait pas résister aux impulsions de sa nature généreuse, quand une main râpeuse saisit la sie

— Par pitié, dame Catherine, ne bougez ! Vous allez déclencher une catastrophe...

Le vieux Saturnin se tenait auprès d'elle, ses cheveux gris rabattus dans sa figure, la tête bien droite. Il ouvrait beaucoup la bouche en parlant pour qu'on crût qu'il chantait.

— Que faites-vous là ? souffla-t-elle. Où est mon époux ?

— Ailleurs ! Il attend son heure ! C'est à vous, gracieuse dame, qu'il faudrait bien plutôt demander ce que vous faites là... Quand messire Arnaud saura...

Les voix des autres, chantant sur le mode lugubre le joyeux chant carnavalesque, couvraient leurs paroles. Devant l'église, ses dents pourries découvertes par un sourire mauvais, Valette battait la mesure avec son épée. Ses hommes relevaient durement le malheureux Carnaval et l'obligeaient à se mettre en marche en tirant cruellement sur ses chaînes.

— Qui est cet homme ? murmura Catherine. Qu'a- t-il fait ?

— Rien ! Ou si peu ! C'est Étie

Saturnin s'arrêta, glissant un regard rapide vers Catherine, mais elle ne broncha pas.

— Continuez ! dit-elle seulement.

— Les hommes l'ont tourmenté de cent façons et se sont amusés de lui. Ils l'ont couro





À coups de bois de lance, les soldats poussaient la foule vers la porte sud de Montsalvy, celle qui ouvrait sur la profonde vallée du Lot. Étie

Cela faisait une abominable cacophonie qui déchirait les oreilles de Catherine. L'impression de cauchemar s'accentuait.

Dans cet univers misérable et tragique, Saturnin seul semblait vivant. Discrètement, respectueusement, il avait glissé son bras sous la main de Catherine, pour lui éviter de buter sur les pierres de la ruelle boueuse. Tout autour d'eux, les gens, malmenés, se bousculaient et Catherine avait la sensation grotesque d'être un mouton dans un troupeau.

Une bousculade plus violente sous la voûte, puis

1 Instrument de musique auvergnat assez analogue à la cornemuse.

Catherine et Saturnin se trouvèrent propulsés hors de la ville, sur un champ en pente douce cerné de châtaigniers au centre duquel un bûcher avait été dressé. Le malheureux Carnaval, portant toujours sa couro

Catherine se sentit faiblir... Depuis la tragédie de Rouen, ces abominables piles de fagots où des hommes osaient enchaîner d'autres hommes la poursuivaient de leur affreuse silhouette. Elle revit la forme blanche de Jeha

— Chantez, par les tripes du Pape ! vociféra Valette en faisant des moulinets avec sa rapière. Et toi, bourreau, fais ton office !

Un homme en guenilles, dont les bras musculeux sortaient d'une casaque de cuir pleine de trous et dont l'énorme crâne était complètement rasé, apparut portant une torche. Il la secoua dans le vent pour en attiser la flamme et l'approchait déjà des fagots. Quelque chose siffla dans l'air et le bourreau s'abattit en arrière avec un hurlement rauque. Tirée d'un châtaignier, une flèche lui avait traversé la gorge.

Le chant qui avait repris s'arrêta net. Catherine vit les yeux de Valette s'arrondir de stupeur et elle voulut se tourner vers Saturnin, mais le bailli de Montsalvy avait disparu... Aussitôt, la foule eut un grondement où perçait la joie. Tout près de Catherine, un grand garçon dont le visage blond s'encadrait d'une barbe en collier murmura, presque extasié :

— Terre et Ciel ! Monseigneur Arnaud ! Dieu soit béni !

En effet, du rideau de châtaigniers qui, là-bas, plongeait vers la profonde vallée, Arnaud venait de sortir, l'écu au coude et tenant un fléau d'armes dans son autre main. Le cœur de Catherine explosa de joie et d'orgueil en le voyant paraître.

Quel chevalier avait jamais eu plus noble allure ? Gauthier et Fortunat suivaient à trois pas, raides et dignes comme il convient à des écuyers de grande maison. Au pas lent de son cheval, Montsalvy s'avança jusqu'auprès du bûcher, releva la visière de son heaume et, sans élever la voix, désignant le malheureux Étie

— Martin, dit-il calmement, détache-le !

Le garçon qui était près de Catherine bondit sans s'occuper du hurlement furieux de Valette qui criait :

— Tuez-le !

Un archer leva son arme, mais n'eut pas le temps de tirer. Une nouvelle flèche le cloua sur place tandis que Martin escaladait le bûcher, détachait le pauvre sorcier, évanoui cette fois, et l'emportait sur son épaule aux acclamations de la foule.