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Lorsque, après une épuisante course à travers la plaine de Beauce, ravagée et brûlée par le passage des armées, Catherine et ses deux compagnons avaient atteint Orléans, ils étaient exténués, parvenus à ce point de fatigue et d'accablement, de misère aussi, où les bêtes se couchent au bord du chemin pour mourir. Encore, Gauthier avait-il trouvé dans sa force herculée

— Ma chère comtesse, je n'ai encore jamais va une grande dame mener une vie telle que la vôtre. Aimez- vous à ce point les grands chemins ?

— J'aime, tout simplement, un homme, avait souri la jeune femme sans paraître s'apercevoir de l'expression soudain figée de Gauthier.

Les trois errants s'étaient arrêtés deux jours à ce foyer amical : les veillées, on les avait employées à parler interminablement de Jeha

Mais, quand Catherine avait dit son désir de se rendre à Champtocé, un silence avait suivi. Et, quand les serviteurs, après la prière, s'étaient retirés dans leurs soupentes, dame Mathilde s'était retournée vers son invitée.

Il ne faut point y aller, ma mie. L'endroit a mauvais renom et le baron de Rais n'est pas un homme à fréquenter pour une femme belle et riche. Encore moins peut-être son vieux brigand d'aïeul. Savez-vous qu'après avoir contraint la petite Catherine de Thouars à fuir avec lui et à l'épouser, pour s'emparer de ses grands biens, Gilles de Rais, ensuite, a fait enlever sa belle-mère, la dame Béatrice de Montjean, et, sous menace d'être cousue en un sac et jetée en Loire, l'a contrainte à lui abando

— La Reine, pourtant, s'y est rendue.

— Quelque peu contrainte et forcée ! Ces gens n'ont point craint d'arrêter son cortège, de malmener ses gens. Croyez-moi, mon amie, ils ne craignent ni Dieu ni Diable. L'intérêt seul les mène, et leur bon plaisir...

Catherine, alors, avait souri gentiment à sa vieille amie. Elle lui avait jeté les bras autour du cou et l'avait embrassée chaleureusement.

— Je ne suis plus une jouvencelle, dame Mathilde, et riche ne le suis plus guère. Toute ma fortune tient, pour le moment, dans ce petit sac d'écus cousu à mon jupon, car mes joyaux sont demeurés à Rouen, à la garde de Jean Son, jusqu'à ce que frère Etie

Jacques Boucher, alors, avait soupiré, le front soucieux.

— Il est cousin de La Trémoille, qui gouverne entièrement notre sire le Roi, et tout dévoué à sa cause, si ce que l'on dit est vrai.



— Mais il est avant tout capitaine du Roi, s'entêta Catherine. Et je n'ai pas le choix si je veux rejoindre messire de Montsalvy.

Rien, les Boucher l'avaient compris, n'empêcherait Catherine de se rendre chez l'inquiétant Angevin. Ils n'avaient pas insisté, mais, en embrassant Catherine au moment des adieux, dame Mathilde avait glissé à son cou une belle médaille d'or représentant sa sainte patro

En recevant ce présent, Catherine avait failli sourire car il avait ramené à sa mémoire tout un monde de souvenirs. Elle revoyait la masure de Barnabé, dans la grande Cour des Miracles de Paris, et aussi le Coquil- lard avec son grand nez, ses longues jambes et ses doigts souples, éclairés par un feu de branches mortes. Combien de fois l'avait-elle regardé, avec de grands yeux ronds, enfermer de semblables fragments dans des boîtes toutes pareilles ? Elle entendait encore la voix goguenarde de Mâchefer, le roi des Truands, qui disait :

« Depuis le temps que tu le mets en boîte, il devrait être aussi gros que l'éléphant du grand Charlemagne, ton saint Jacques... »

Peut-être ce reliquaire-là était-il sorti, lui aussi, des mains industrieuses de Barnabé et, dans ce cas, la sainteté de la relique était plus que douteuse, mais il n'en fut que plus cher à Catherine. Ces quelques onces de cuivre doré formaient un pont avec les jours d'autrefois. C'était comme une main amie, tendue hors du tombeau et par-delà les a

Serrant la boîte au creux de sa main, elle avait embrassé Mathilde avec des larmes dans les yeux.

C'était à tout cela que pensait Catherine en avançant vers le rébarbatif et superbe château. Instinctivement, sa main gantée de daim fauve chercha sur son corsage l'infime renflement qui marquait la place du petit reliquaire, s'y crispa un instant, comme pour demander à l'ombre de Barnabé le courage nécessaire. Mais, au moment où elle allait engager sa monture sous la voûte de la barbacane, une petite troupe de soldats en sortit, traînant dans la poussière leurs longues piques et leurs pieds chaussés de gros cuir. Traînant aussi un homme en loques, aux mains liées derrière le dos et dont les yeux clignaient dans le soleil couchant. Un autre homme en robe de drap noir à gros plis serrés dans une ceinture qui supportait un encrier, transpirant sous un lourd chaperon de même étoffe, suivait, un rouleau de parchemin scellé de rouge à la main.

La troupe prit le chemin qui suivait le bord de l'étang et se perdit sous les branches pendantes. Comprenant que le priso

— Pas le moindre moine pour assister un homme à son heure dernière, marmotta Sara. Chez quelle sorte de mécréants allons-nous tomber ?

La main de Catherine se serra plus fort sur sa poitrine et la tentation lui vint, irrésistible, de rebrousser chemin. Ne pourrait-elle plutôt prendre logis en quelque auberge de ce village ou même chez l'un des habitants et guetter le retour de Gilles de Rais ? Mais elle songea aussitôt que, si des nouvelles arrivaient au château, elle n'en saurait rien. Elle songea aussi que Gilles de Rais n'était sans doute point encore arrivé, qu'il était indigne d'elle d'avoir peur d'un vieillard et que, peut-être, Arnaud ne viendrait point jusque-là, mais lui ferait savoir où le rejoindre.

D'ailleurs, à cet instant précis, la corne d'un guetteur mugit au-dessus de sa tête, haut dans le ciel, tandis qu'une voix rude demandait :

— Que voulez-vous, étrangers, et pourquoi vous approchez-vous de ce château ?

Sans laisser à Catherine le temps de répondre, Gauthier poussa sa mule et se dressa sur ses étriers, les mains en porte-voix.