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Il n’y a guère, à notre époque, que deux ou trois hommes qui puissent lire, comprendre et juger un livre. De ceux-là je consens à recevoir des leçons, persuadé qu’ils ne parleront pas sans avoir pénétré mes intentions et apprécié les résultats de mes efforts. Ils se garderaient bien de prononcer les grands mots vides de moralité et de pudeur littéraire; ils me reco
Il me semble que j’entends, dès maintenant, la sentence de la grande critique, de la critique méthodique et naturaliste qui a renouvelé les sciences, l’histoire et la littérature: «Thérèse Raquin est l’étude d’un cas trop exceptio
Je voulais répondre en vingt lignes à des attaques irritantes par leur naïve mauvaise foi, et je m’aperçois que je me mets à causer avec moi-même, comme cela m’arrive toujours lorsque je garde trop longtemps une plume à la main. Je m’arrête, sachant que les lecteurs n’aiment pas cela. Si j’avais eu la volonté et le loisir d’écrire un manifeste, peut-être aurais-je essayé de défendre ce qu’un journaliste, en parlant de Thérèse Raquin, a nommé «la littérature putride». D’ailleurs, à quoi bon? Le groupe d’écrivains naturalistes auquel j’ai l’ho
EMILE ZOLA.
15 avril 1868.
Chapitre 1
Au bout de la rue Guénégaud, lorsqu’on vient des quais, on trouve le passage du Pont-Neuf, une sorte de corridor étroit et sombre qui va de la rue Mazarine à la rue de Seine. Ce passage a trente pas de long et deux de large, au plus; il est pavé de dalles jaunâtres, usées, descellées, suant toujours une humidité âcre; le vitrage qui le couvre, coupé à angle droit, est noir de crasse.
Par les beaux jours d’été, quand un lourd soleil brûle les rues, une clarté blanchâtre tombe des vitres sales et traîne misérablement dans le passage. Par les vilains jours d’hiver, par les matinées de brouillard, les vitres ne jettent que de la nuit sur les dalles gluantes, de la nuit salie et ignoble.
À gauche, se creusent des boutiques obscures, basses, écrasées, laissant échapper des souffles froids de caveau. Il y a là des bouquinistes, des marchands de jouets d’enfant, des carto
À droite, sur toute la longueur du passage, s’étend une muraille contre laquelle les boutiquiers d’en face ont plaqué d’étroites armoires; des objets sans nom, des marchandises oubliées là depuis vingt ans s’y étalent le long de minces planches peintes d’une horrible couleur brune. Une marchande de bijoux faux s’est établie dans une des armoires; elle y vend des bagues de quinze sous, délicatement posées sur un lit de velours bleu, au fond d’une boîte en acajou.
Au-dessus du vitrage, la muraille monte, noire, grossièrement crépie, comme couverte d’une lèpre et toute couturée de cicatrices.
Le passage du Pont-Neuf n’est pas un lieu de promenade. On le prend pour éviter un détour, pour gagner quelques minutes. Il est traversé par un public de gens affairés dont l’unique souci est d’aller vite et droit devant eux. On y voit des apprentis en tablier de travail, des ouvrières reportant leur ouvrage, des hommes et des femmes tenant des paquets sous leur bras; on y voit encore des vieillards se traînant dans le crépuscule morne qui tombe des vitres, et des bandes de petits enfants qui vie
Le soir, trois becs de gaz, enfermés dans des lanternes lourdes et carrées, éclairent le passage. Ces becs de gaz, pendus au vitrage sur lequel ils jettent des taches de clarté fauve, laissent tomber autour d’eux des ronds d’une lueur pâle qui vacillent et semblent disparaître par instants. Le passage prend l’aspect sinistre d’un véritable coupe-gorge; de grandes ombres s’allongent sur les dalles, des souffles humides vie
Il y a quelques a