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– Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d'un rire hardi, vous vendrez le monde!

Maintenant, le baron comprenait. Quelques phrases avaient suffi, il devinait le reste, et une exploitation si galante l'échauffait, remuait en lui son passé de viveur. Il clignait les yeux d'un air d'intelligence, il finissait par admirer l'inventeur de cette mécanique à manger les femmes. C'était très fort. Il eut le mot de Bourdoncle, un mot que lui souffla sa vieille expérience.

– Vous savez qu'elles se rattraperont.

Mais Mouret haussa les épaules, dans un mouvement d'écrasant dédain. Toutes lui appartenaient, étaient sa chose, et il n'était à aucune. Quand il aurait tiré d'elles sa fortune et son plaisir, il les jetterait en tas à la borne, pour ceux qui pourraient encore y trouver leur vie. C'était un dédain raiso

– Eh bien! cher monsieur, demanda-t-il pour conclure, voulez-vous être avec moi? L'affaire des terrains vous semble-t-elle possible?

Le baron, à demi conquis, hésitait pourtant à s'engager de la sorte. Un doute restait au fond du charme qui opérait peu à peu sur lui. Il allait répondre d'une façon évasive, lorsqu'un appel pressant de ces dames lui évita cette peine. Des voix répétaient, au milieu de légers rires:

– Monsieur Mouret! monsieur Mouret!

Et comme celui-ci, contrarié d'être interrompu, feignait de ne pas entendre, Mme de Boves, debout depuis un moment, vint jusqu'à la porte du petit salon.

– On vous réclame, monsieur Mouret… Ce n'est guère galant de vous enterrer dans les coins pour causer d'affaires.

Alors, il se décida, et avec une bo

– Mais je suis à votre disposition, mesdames, dit-il en entrant, le sourire aux lèvres.

Un brouhaha de triomphe l'accueillit. Il dut s'avancer davantage, ces dames lui firent place au milieu d'elles. Le soleil venait de se coucher derrière les arbres du jardin, le jour tombait, une ombre fine noyait peu à peu la vaste pièce. C'était l'heure attendrie du crépuscule, cette minute de discrète volupté, dans les appartements parisiens, entre la clarté de la rue qui se meurt et les lampes qu'on allume encore à l'office. M. de Boves et Vallagnosc, toujours debout devant la fenêtre, jetaient sur le tapis une nappe d'ombre; tandis que, immobile dans le dernier coup de lumière qui venait de l'autre fenêtre, M. Marty, entré discrètement depuis quelques minutes, mettait son profil pauvre, une redingote étriquée et propre, un visage blêmi par le professorat, et que la conversation de ces dames sur la toilette achevait de bouleverser.

– Est-ce toujours pour lundi prochain, cette mise en vente? demandait justement Mme Marty.

– Mais, sans doute, madame, répondit Mouret d'une voix de flûte, une voix d'acteur qu'il prenait, quand il parlait aux femmes.

Henriette alors intervint.

– Vous savez, nous irons toutes… On dit que vous préparez des merveilles.

– Oh! des merveilles! murmura-t-il d'un air de fatuité modeste, je tâche simplement d'être digne de vos suffrages.

Mais elles le pressaient de questions. Mme Bourdelais, Mme Guibal, Blanche elle-même, voulaient savoir.

– Voyons, do

Et elles l'entouraient, lorsque Henriette remarqua qu'il n'avait seulement pas pris une tasse de thé. Alors, ce fut une désolation; quatre d'entre elles se mirent à le servir, mais à la condition qu'il répondrait ensuite. Henriette versait, Mme Marty tenait la tasse, pendant que Mme de Boves et Mme Bourdelais se disputaient l'ho

– Votre soie, votre Paris-Bonheur, dont tous les journaux parlent? reprit Mme Marty, impatiente.

– Oh! répondit-il, un article extraordinaire, une faille à gros grain, souple, solide… Vous la verrez, mesdames. Et vous ne la trouverez que chez nous, car nous en avons acheté la propriété exclusive.

– Vraiment! une belle soie à cinq francs soixante! dit Mme Bourdelais enthousiasmée. C'est à ne pas croire.



Cette soie, depuis que les réclames étaient lancées, occupait dans leur vie quotidie

– Nous avons d'autres étoffes éto

Elles ne l'interrompaient plus, elles resserraient encore leur cercle, la bouche entrouverte par un vague sourire, le visage rapproché et tendu, comme dans un élancement de tout leur être vers le tentateur. Leurs yeux pâlissaient, un léger frisson courait sur leurs nuques. Et lui gardait son calme de conquérant, au milieu des odeurs troublantes qui montaient de leurs chevelures. Il continuait à boire, entre chaque phrase, une petite gorgée de thé, dont le parfum attiédissait ces odeurs plus âpres, où il y avait une pointe de fauve. Devant une séduction si maîtresse d'elle-même, assez forte pour jouer ainsi de la femme, sans se prendre aux ivresses qu'elle exhale, le baron Hartma

– Alors, on portera du drap? reprit Mme Marty, dont le visage ravagé s'embellissait de passion coquette. Il faudra que je voie.

Mme Bourdelais, qui gardait son œil clair, dit à son tour:

– N'est-ce pas? la vente des coupons est le jeudi, chez vous… J'attendrai, j'ai tout mon petit monde à vêtir.

Et, tournant sa fine tête blonde vers la maîtresse de la maison.

– Toi, c'est toujours Sauveur qui t'habille?

– Mon Dieu! oui, répondit Henriette, Sauveur est très chère, mais il n'y a qu'elle à Paris qui sache faire un corsage… Et puis, M. Mouret a beau dire, elle a les plus jolis dessins, des dessins qu'on ne voit nulle part. Moi, je ne peux pas souffrir de retrouver ma robe sur les épaules de toutes les femmes.

Mouret eut d'abord un sourire discret. Ensuite, il laissa entendre que Mme Sauveur achetait chez lui ses étoffes; sans doute, elle prenait directement chez les fabricants certains dessins, dont elle s'assurait la propriété; mais, pour les soieries noires, par exemple, elle guettait les occasions du Bonheur des Dames, faisait des provisions considérables, qu'elle écoulait en doublant et en triplant les prix.

– Ainsi, je suis bien certain que des gens à elle vont nous enlever notre Paris-Bonheur. Pourquoi voulez-vous qu'elle aille payer cette soie en fabrique plus cher qu'elle ne la paiera chez nous?… Ma parole d'ho

Ce fut le dernier coup porté à ces dames. Cette idée d'avoir de la marchandise à perte fouettait en elles l'âpreté de la femme, dont la jouissance d'acheteuse est doublée, quand elle croit voler le marchand. Il les savait incapables de résister au bon marché.

– Mais nous vendons tout pour rien! cria-t-il gaiement, en prenant derrière lui l'éventail de Mme Desforges, resté sur le guéridon. Tenez! voici cet éventail… Vous dites qu'il a coûté?

– Le chantilly vingt-cinq francs, et la monture deux cents, dit Henriette.

– Eh bien! le chantilly n'est pas cher. Pourtant, nous avons le même à dix-huit francs… Quant à la monture, chère madame, c'est un vol abominable. Je n'oserais vendre la pareille plus de quatre-vingt-dix francs.

– Je le disais bien! cria Mme Bourdelais.

– Quatre-vingt-dix francs! murmura Mme de Boves, il faut vraiment ne pas avoir un sou pour s'en passer.

Elle avait repris l'éventail, l'examinait de nouveau avec sa fille Blanche; et, sur sa grande face régulière, dans ses larges yeux dormants, montait l'envie contenue et désespérée du caprice qu'elle ne pourrait contenter. Puis, une seconde fois, l'éventail fit le tour de ces dames, au milieu des remarques et des exclamations. M. de Boves et Vallagnosc, cependant, avaient quitté la fenêtre. Tandis que le premier revenait se placer derrière Mme Guibal, dont il fouillait du regard le corsage, de son air correct et supérieur, le jeune homme se penchait vers Blanche, en tâchant de trouver un mot aimable.