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– Qu'allez-vous faire de vos terrains et de vos immeubles? demandait-il avec insistance. Vous avez une idée, sans doute. Mais je suis bien certain que votre idée ne vaut pas la mie
Et il laissa échapper ce cri du cœur:
– Ah! si je pouvais me passer de vous!… Mais vous tenez tout, maintenant. Et puis, je n'aurais jamais les avances nécessaires… Voyons, il faut nous entendre, ce serait un meurtre.
– Comme vous y allez, cher monsieur! se contenta de répondre le baron Hartma
Il hochait la tête, il continuait de sourire, décidé à ne pas rendre confidence pour confidence. Le projet du Crédit Immobilier était de créer, sur la rue du Dix-Décembre, une concurrence au Grand-Hôtel, un établissement luxueux, dont la situation centrale attirerait les étrangers. D'ailleurs, comme l'hôtel devait occuper seulement les terrains en bordure, le baron aurait pu quand même accueillir l'idée de Mouret, traiter pour le reste du pâté de maisons, d'une superficie très vaste encore. Mais il avait déjà commandité deux amis d'Henriette, il se lassait un peu de son faste de protecteur complaisant. Puis, malgré sa passion de l'activité, qui lui faisait ouvrir sa bourse à tous les garçons d'intelligence et de courage, le coup de génie commercial de Mouret l'éto
– Sans doute, l'idée peut séduire, disait-il. Seulement, elle est d'un poète… Où prendriez-vous la clientèle pour emplir pareille cathédrale?
Mouret le regarda un moment en silence, comme stupéfait de son refus. Était-ce possible? un homme d'un tel flair, qui sentait l'argent à toutes les profondeurs! Et, tout d'un coup, il eut un geste de grande éloquence, il montra ces dames dans le salon, en criant:
– La clientèle, mais la voilà!
Le soleil pâlissait, la poussière d'or rouge n'était plus qu'une lueur blonde, dont l'adieu se mourait dans la soie des tentures et les pa
– D'abord, un transparent de soie mauve, et puis, là-dessus, des volants de vieil Alençon, haut de trente centimètres…
– Oh! s'il est permis! interrompait Mme Marty. Il y a des femmes heureuses!
Le baron Hartma
– Vous entendez, monsieur le baron, toute la mécanique est là. C'est bien simple, mais il fallait le trouver. Nous n'avons pas besoin d'un gros roulement de fonds. Notre effort unique est de nous débarrasser très vite de la marchandise achetée, pour la remplacer par d'autre, ce qui fait rendre au capital autant de fois son intérêt. De cette manière, nous pouvons nous contenter d'un petit bénéfice; comme nos frais généraux s'élèvent au chiffre énorme de seize pour cent, et que nous ne prélevons guère sur les objets que vingt pour cent de gain, c'est donc un bénéfice de quatre pour cent au plus; seulement, cela finira par faire des millions, lorsqu'on opérera sur des quantités de marchandises considérables et sans cesse renouvelées… Vous suivez, n'est-ce pas? rien de plus clair.
Le baron hocha de nouveau la tête. Lui, qui avait accueilli les combinaisons les plus hardies, et dont on citait encore les témérités, lors des premiers essais de l'éclairage au gaz, restait inquiet et têtu.
– J'entends bien, répondit-il. Vous vendez bon marché pour vendre beaucoup, et vous vendez beaucoup pour vendre bon marché… Seulement, il faut vendre, et j'en reviens à ma question: à qui vendrez-vous? comment espérez-vous entretenir une vente aussi colossale?
Un éclat brusque de voix, venu du salon, coupa les explications de Mouret. C'était Mme Guibal qui aurait préféré les volants de vieil Alençon en tablier seulement.
– Mais, ma chère, disait Mme de Boves, le tablier en était couvert aussi. Jamais je n'ai rien vu de plus riche.
– Tiens! vous me do
Et les voix tombèrent, ne furent plus qu'un murmure. Des chiffres so
– Eh! dit enfin Mouret, quand il put parler, on vend ce qu'on veut, lorsqu'on sait vendre! Notre triomphe est là.
Alors, avec sa verve provençale, en phrases chaudes qui évoquaient les images, il montra le nouveau commerce à l'œuvre. Ce fut d'abord la puissance décuplée de l'entassement, toutes les marchandises accumulées sur un point, se soutenant et se poussant; jamais de chômage; toujours l'article de la saison était là; et, de comptoir en comptoir, la cliente se trouvait prise, achetait ici l'étoffe, plus loin le fil, ailleurs le manteau, s'habillait, puis tombait dans des rencontres imprévues, cédait au besoin de l'inutile et du joli. Ensuite, il célébra la marque en chiffres co
– J'ai la femme, je me fiche du reste! dit-il dans un aveu brutal, que la passion lui arracha.
À ce cri, le baron Hartma
– Chut! murmura-t-il paternellement, elles vont vous entendre.
Mais ces dames parlaient maintenant toutes à la fois, tellement excitées, qu'elles ne s'écoutaient même plus entre elles. Mme de Boves achevait la description de la toilette de soirée: une tunique de soie mauve, drapée et retenue par des nœuds de dentelle; le corsage décolleté très bas, et encore des nœuds de dentelle aux épaules.
– Vous verrez, disait-elle, je me fais faire un corsage pareil avec un satin…
– Moi, interrompait Mme Bourdelais, j'ai voulu du velours, oh! une occasion!
Mme Marty demandait:
– Hein? combien la soie?
Puis, toutes les voix repartirent ensemble. Mme Guibal, Henriette, Blanche, mesuraient, coupaient, gâchaient. C'était un saccage d'étoffes, la mise au pillage des magasins, un appétit de luxe qui se répandait en toilettes jalousées et rêvées, un bonheur tel à être dans le chiffon, qu'elles y vivaient enfoncées, ainsi que dans l'air tiède nécessaire à leur existence.
Mouret, cependant, avait jeté un coup d'œil vers le salon. Et, en quelques phrases dites à l'oreille du baron Hartma