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– Comment! c'est toi, Paul!
– Tiens! Octave!
Mouret et Vallagnosc se serraient les mains. À son tour, Mme Desforges témoignait sa surprise. Ils se co
Cependant, les mains toujours liées, ils passèrent en plaisantant dans le petit salon, au moment où le domestique apportait le thé, un service de Chine sur un plateau d'argent, qu'il posa près de Mme Desforges, au milieu du guéridon de marbre, à légère galerie de cuivre. Ces dames se rapprochaient, causaient plus haut, toutes aux paroles sans fin qui se croisaient; pendant que M. de Boves, debout derrière elles, se penchait par instants, disait un mot avec sa galanterie de beau fonctio
– Ah! ce vieux Paul! répétait Mouret.
Il s'était assis près de Vallagnosc, sur un canapé. Seuls au fond du petit salon, un boudoir très coquet tendu de soie bouton d'or, loin des oreilles et ne voyant plus eux-mêmes ces dames que par la porte grande ouverte, ils ricanèrent, les yeux dans les yeux, en s'allongeant des tapes sur les genoux. Toute leur jeunesse s'éveillait, le vieux collège de Plassans, avec ses deux cours, ses études humides, et le réfectoire où l'on mangeait tant de morue, et le dortoir où les oreillers volaient de lit en lit, dès que le pion ronflait. Paul, d'une ancie
– Voyons, demanda Mouret, que deviens-tu?
– Mais je ne deviens rien.
Vallagnosc, dans la joie de leur rencontre, gardait son air las et désenchanté; et, comme son ami, éto
– Enfin, tu fais bien quelque chose… Que fais-tu?
– Rien, répondit-il.
Octave se mit à rire. Rien, ce n'était pas assez. Phrase à phrase, il finit par obtenir l'histoire de Paul, l'histoire commune des garçons pauvres, qui croient devoir à leur naissance de rester dans les professions libérales, et qui s'enterrent au fond d'une médiocrité vaniteuse, heureux encore quand ils ne crèvent pas la faim, avec des diplômes plein leurs tiroirs. Lui, avait fait son droit par tradition de famille; puis, il était demeuré à la charge de sa mère veuve, qui ne savait déjà comment placer ses deux filles. Une honte enfin l'avait pris, et, laissant les trois femmes vivre mal des débris de leur fortune, il était venu occuper une petite place au ministère de l'Intérieur, où il se tenait enfoui, comme une taupe dans son trou.
– Et qu'est-ce que tu gagnes? reprit Mouret.
– Trois mille francs.
– Mais c'est une pitié! Ah! mon pauvre vieux, ça me fait de la peine pour toi… Comment! un garçon si fort, qui nous roulait tous! Et ils ne te do
Il s'interrompit, il fit un retour sur lui-même.
– Moi, je leur ai tiré ma révérence… Tu sais ce que je suis devenu?
– Oui, dit Vallagnosc. On m'a conté que tu étais dans le commerce. Tu as cette grande maison de la place Gaillon, n'est-ce pas?
– C'est cela… Calicot, mon vieux!
Mouret avait relevé la tête, et il lui tapa de nouveau sur le genou, il répéta avec la gaieté solide d'un gaillard sans honte pour le métier qui l'enrichissait:
– Calicot, en plein!… Ma foi, tu te rappelles, je ne mordais guère à leurs machines, bien qu'au fond je ne me sois jamais jugé plus bête qu'un autre. Quand j'ai eu passé mon bachot, pour contenter ma famille, j'aurais parfaitement pu devenir un avocat ou un médecin comme les camarades; mais ces métiers-là m'ont fait peur, tant on voit de gens y tirer la langue… Alors, mon Dieu! j'ai jeté la peau d'âne au vent, oh! sans regret, et j'ai piqué une tête dans les affaires.
Vallagnosc souriait d'un air d'embarras. Il finit par murmurer:
– Il est de fait que ton diplôme de bachelier ne doit pas te servir à grand-chose pour vendre de la toile.
– Ma foi! répondit Mouret joyeusement, tout ce que je demande, c'est qu'il ne me gêne pas… Et, tu sais, quand on a eu la bêtise de se mettre ça entre les jambes, il n'est pas commode de s'en dépêtrer. On s'en va à pas de tortue dans la vie, lorsque les autres, ceux qui ont les pieds nus, courent comme des dératés.
Puis, remarquant que son ami semblait souffrir, il lui prit les mains, il continua:
– Voyons, je ne veux pas te faire de la peine, mais avoue que tes diplômes n'ont satisfait aucun de tes besoins… Sais-tu que mon chef de rayon, à la soie, touchera plus de douze mille francs cette a
Sa voix s'était échauffée; Henriette, qui servait le thé, avait tourné la tête. Quand il la vit sourire, au fond du grand salon et qu'il aperçut deux autres dames prêtant l'oreille, il s'égaya le premier de ses phrases.
– Enfin, mon vieux, tout calicot qui débute est aujourd'hui dans la peau d'un millio
Vallagnosc se renversait mollement sur le canapé. Il avait fermé les yeux à demi, dans une pose de fatigue et de dédain, où une pointe d'affectation s'ajoutait au réel épuisement de sa race.
– Bah! murmura-t-il, la vie ne vaut pas tant de peine. Rien n'est drôle.
Et, comme Mouret, révolté, le regardait d'un air de surprise, il ajouta:
– Tout arrive et rien n'arrive. Autant rester les bras croisés.
Alors, il dit son pessimisme, les médiocrités et les avortements de l'existence. Un moment, il avait rêvé de littérature, et il lui était resté de sa fréquentation avec des poètes une désespérance universelle. Toujours, il concluait à l'inutilité de l'effort, à l'e
– Voyons, est-ce que tu t'amuses, toi? finit-il par demander…
Mouret en était arrivé à une stupeur d'indignation. Il cria:
– Comment! si je m'amuse!… Ah! çà, que chantes-tu? Tu en es là, mon vieux!… Mais, sans doute, je m'amuse, et même lorsque les choses craquent, parce qu'alors je suis furieux de les entendre craquer. Moi, je suis un passio
Il jeta un coup d'œil vers le salon, il baissa la voix.
– Oh! il y a des femmes qui m'ont bien embêté, ça je le confesse. Mais, quand j'en tiens une, je la tiens que diable! et ça ne rate pas toujours, et je ne do
Toute la joie de l'action, toute la gaieté de l'existence so
– C'est mon seul plaisir, de bâiller devant les autres, dit Vallagnosc en souriant de son air froid.
Du coup, la passion de Mouret tomba. Il redevint affectueux.
– Ah! ce vieux Paul, toujours le même, toujours paradoxal!… Hein? nous ne nous retrouvons pas pour nous quereller. Chacun a ses idées, heureusement. Mais il faudra que je te montre ma machine en branle, tu verras que ce n'est pas si bête… Allons, do