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1 Conversation avec un clown signé John Wayne Gacy

Il faisait une putain de chaleur et j’étais en train de me dire que je haïssais le mois de juin et les baies vitrées.

C’était pas vraiment à cause de la clim en rideau depuis des jours, ni même à cause des loyers en retard qui s’accumulaient, par simple je-m’en-foutisme, ni du courrier assez sec du proprio que j’avais trouvé dans la messagerie, en allumant la console d’un coup de zappeur.

Non, j’avais simplement vue plongeante sur le carrefour, derrière lequel se dressaient les bâtiments de la nouvelle université. Les baies vitrées n’étaient pas programmables dans l’arcologie Youri Gagarine à l’époque, et la disposition de mon bureau ne m’en faisait pas rater une miette.

Les filles rayo

Je pianotais sans conviction sur le clavier, manipulais vaguement quelques objets virtuels avec le glove, naviguant dans le Net à la recherche d’informations pour les deux-trois affaires en cours. Je râlais contre la clim, qui ne fonctio

J’ai pas encore eu le temps de vous parler du boulot que je faisais à l’époque, mais, comme la plupart des heureux élus qui pouvaient se vanter d’avoir un job, mes heures de télétravail étaient étroitement surveillées par la “ neuromatrice ”, qui, il faut le reco

Les intelligences artificielles sont des êtres “ proto-conscients ”, selon la terminologie scientifique en vigueur, au quotidien, ça veut dire qu’elles sont encore assez loin de l’humanité. Elles sont généralement loyales, et réfractaires aux tentations sur lesquelles nous avons bâti notre histoire. L’argent les laisse indifférentes, le pouvoir ne les intéresse pas, et leur sexualité reste une vague hypothèse, dans un avenir très incertain. Tenter de corrompre une intelligence artificielle revient à discuter mathématiques fractales avec un poirier, ou un présentateur de télé.

Mon travail pouvait s’apparenter à celui des privés, les mythiques détectives du siècle précédent. Moi, aussi, j’étais payé pour collecter des informations. Il m’arrivait parfois de me comparer à un Marlowe ou un Sam Spade de l’âge “ neurocyber ”, surtout lorsqu’il s’agissait de frimer une gonzesse au Machine Head, ou chez MC Random, les bars de Grand Tu

La Compagnie. C’est comme ça qu’on appelait notre employeur, entre nous, à l’Agence Oshiro de PariSud. Une sorte de coutume qui s’était repassée de génération en génération depuis la création de l’entreprise Oshiro Security and Technology, au début du siècle, par un ancien agent nippo-américain de la NSA.

Comme tous les autres, j’étais autonome, avec un contrat qui me liait à la boîte, et une obligation de résultat. J’avais été engagé par Oshiro l’été précédent, et au bout d’un an je m’en sortais tout juste. C’est à peine si les deux coups brillants menés d’entrée de jeu, dès mon embauche, me faisait espérer un poil de sollicitude de la part des patrons de l’agence locale, les frères Kemal, des Turcs à qui on la faisait pas.

Comme tous les autres, mon boulot consistait à surveiller les systèmes d’information de perso



Entre autres, on devait s’assurer en permanence du bon fonctio

Sûr que ça on savait faire.

C’était notre truc, c’est pour ça qu’on avait été engagés.

Comme tous les autres ou presque, j’avais commencé ma carrière de l’autre côté de la barrière.

Pendant cinq ans, avec Zlatko et Djamel, on a parcouru le réseau, sous des identités changeantes. On opérait en groupe, en partageant les risques, nos trucs, nos logiciels et en élaborant une stratégie commune, qui visait généralement à attaquer la cible de trois côtés à la fois, avec une opération de diversion, camouflant un deuxième leurre, masquant la vraie manoeuvre. Ou alors des “ intrusions croisées ”, qui faisaient perdre la boule aux logiciels antivirus et aux agents de sécurité des grandes compagnies, nos cibles de prédilection. On vidait des comptes, on craquait des cartes de crédit, et on piratait des secrets industriels qu’on revendait ensuite à prix d’or à des Triades asiatiques, installées au sud de la Cité-Musée de Paris-Ville-Lumière. L’ancie

Tout ça pour dire que les Triades payaient rudement bien, elles auraient pu racheter la Compagnie de Mickey Mouse et la ville de Paris, cash, si elles n’avaient pas intelligemment préféré les racketter.

Pour nous, ça a bien marché pendant cinq ans. On se faisait du pognon, on commençait à fréquenter les célébrités du “ sub-monde ”, on vivait comme des rock-stars, harcelés de groupies en chaleur, qu’on retrouvait jusque dans nos plumards, après une nuit passée à se faire vider dans un HyperDôme quelconque, par d’autres créatures au sexe indéterminé. Ce fut la grande époque des premiers hallucinogènes à dimension neurofractale, les premières neuronexions avec des cerveaux artificiels, les expériences “ cyberdéliques ”, où plusieurs esprits humains se partageaient les ressources d’une intelligence artificielle, tout ça on se le prit de plein fouet, en pleine ascension. On parlait de rupture épistémologigue majeure, des sociologues, des éco-ethnologues proclamèrent la venue d’un nouvel âge. Nous, on se tapait des gonzesses, on se neurobranchait sur des univers virtuels qu’on créait à plusieurs, ou en solitaire, on avalait toutes les molécules disponibles d’un bout à l’autre de la planète, et on vidait des comptes pour alimenter la machine.

Ça pouvait pas durer éternellement, c’est sûr.

Le premier à s’être fait serrer, c’est Djamel. Au printemps 2032, les flics de la Ceinture l’ont chopé pour une obscure histoire de sexe et de drogue illicite avec une mineure, et lors d’une perquise ils sont tombés sur ses disques “ secrets ”, bourrés de neurovirus dernière génération, des trucs qu’il achetait régulièrement à une Triade d’Ivry. C’est passé au ras de nos fesses, à Zlatko et à moi. On s’est évanouis dans la nature, chacun de son côté, en se demandant si Djamel respecterait notre code d’ho

Je suis allé en Tchécoslovaquie, sous une fausse identité, puis en Hongrie, sous une autre. Je suis resté deux ans à Budapest, avec une émigrée néo-zélandaise. Quand elle m’a plaqué pour un “ type qui essayait vraiment de faire quelque chose de sa vie ”, un jeune peintre américain qui faisait beaucoup d’efforts pour ressembler à Warhol, j’ai zoné en Allemagne, vidant ce qui me restait de pognon, et un beau matin je me suis retrouvé dans une bagnole qui partait pour Paris, avec un Danois et deux Allemandes de Berlin. J’y grillais ma dernière identité factice, ainsi que plusieurs millions de neurones, dans une dérive qui dura près d’une semaine. Une semaine de dinguerie pure, faite de sexe dans toutes les positions et tous les endroits possibles, de jour, de nuit, à l’arrêt, en roulant, le tout avec un stock de drogues neurofractales illicites que j’avais déniché dans un cyberbazar à moitié clando, près de l’ancien Mur.