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— Ils vont t’arrêter, si tu restes !

— Et si je pars, ils refuseront de m’accorder ta tutelle. Tu le sais. C’est pourquoi je ne suis pas venu ici, ce soir. J’ignore ce que tu as fait. Je vais regagner notre appartement, affirmer que je n’ai pas quitté ma chambre et demander comment je pourrais savoir où tu es allé. Un platythère a pu te dévorer, au risque d’avoir une indigestion.

Il abaissa un interrupteur et jeta un coup d’œil au tableau de bord.

— Parfait. Le plein est fait et les batteries sont au maximum de leur charge. Il est agréable de constater que l’entretien ne laisse pas à désirer, pas vrai ?

— Justin.

Grant parlait d’une voix chevrotante et gardait ses mains enfoncées dans ses poches. L’air était encore plus froid, au bord du fleuve.

— C’est à toide m’écouter, à présent. Il serait temps de faire preuve d’un peu de bon sens. Je suis un azi. J’ai reçu mes premières bandes quand j’étais encore dans mon berceau, bon Dieu ! Quoi qu’Ari puisse me faire, j’y résisterai. Je suis capable de disséquer n’importe quelle bande-structure et de te dire si elle contient la moindre erreurc

— Je n’en ai jamais douté.

— Je survivrai à ses expériences et elle ne peut résilier mon contrat. Il ne contient aucune clause de ce genre. Je le saisc je co

— Écoute-moi sans m’interrompre. Tu te souviens que nous avions tout organisé. Les premières lumières visibles sur la droite font encore partie de Reseune. C’est la station de précip numéro dix, là-haut dans les contreforts. Celles que tu verras sur ta gauche, à deux klics d’ici, c’est Moreyville. Si tu navigues tous feux éteints tu pourras dépasser ce point avant qu’Ari n’ait eu vent de ton départ, et la nuit est claire. Ne t’écarte pas du centre du fleuve, car c’est le seul moyen d’éviter les obstacles et, surtout, prends garde aux troncs charriés par les flots. Les courants arriveront de bâbord, au confluent de la Ke

Il alluma la lampe à cartes et griffo

— Dis-leur de l’appeler, peu importe l’heure. Quand Merild arrivera, tu lui dirasc tu lui diras qu’Ari a voulu faire pression sur Jordan par mon entremise, bordel ! Ça suffira, comme explication. Précise que je ne pourrai pas partir d’ici avant le transfert de mon père, mais que tu devais t’en aller pour réduire le nombre d’otages que détient cette femme. Compris ?

— Oui, fit Grant d’une voix à peine audible.

Une voix d’azi : oui.

— Les Kruger ne te trahiront pas. Dis-leur de couler le bateau, si nécessaire. Il appartient à Emory, de toute façon. Merild se chargera du reste.

— Ari contactera la police.

— Parfait. Grand bien lui fasse ! Ne dépasse pas la Ke

Il dévisagea Grant sous la faible clarté de la lampe à cartes et prit soudain conscience qu’il risquait de ne jamais le revoir.

— Sois prudent. Pour l’amour de Dieu, sois prudent.

— Justin.

Ils s’étreignirent avec force.

— Sois prudent, toi aussi. Je t’en supplie.

— Je vais te pousser hors de la remise. En route. Ferme la porte hermétique.

— L’autre vedettec

— Je m’en occupe. Va !





Justin se retourna et sortit de la cabine. Il sauta sur le pont puis sur le caillebotis qui gémit sous son poids. Il libéra alors les amarres qu’il lança sur le pont puis poussa le bateau du pied et des mains tant qu’il ne se fut pas dégagé en raclant les défenses.

L’embarcation pivota, une masse sombre et inerte, puis le courant la fit partir à la dérive jusqu’au centre du fleuve où sa proue tourna à nouveau.

Justin ouvrit le deuxième bateau et souleva le capot du moteur.

Un allumage électronique. Il déboîta le circuit imprimé, laissa redescendre le cache, referma l’écoutille derrière lui et lâcha la pièce dans les flots avant de sauter du pont sur le quai métallique.

Il entendit au même instant les quintes de toux étouffées de la vedette de Grant.

Puis un grondement régulier qui s’éloigna en décroissant.

Il quitta la remise à bateaux, verrouilla la porte et se mit à courir. Il était dangereux de rester sur la berge en pleine nuit, comme en tout lieu non surveillé où risquaient de se trouver des représentants de la faune et de la flore locales, herbes dans un fossé, spores transportées par le ventc Dieu sait quoi. Il tenta de ne pas y penser. Il courut, revint sur la route, et se mit à marcher après l’apparition d’un point de côté.

Il s’attendait à rencontrer un comité d’accueil. Il pensait qu’un des techs de l’aéroport avait dû voir le bateau, ou l’entendre démarrer. Mais les travaux effectués dans le hangar étaient bruyants, quelqu’un semblait utiliser une clé pneumatique. Les ouvriers avaient pu penser à une embarcation au moteur capricieux qui venait de Moreyville, ou d’un autre point situé en amont de la Volga. Les membres des équipes de nuit étaient en outre aveuglés par de puissants projecteurs.

Il estima que la chance avait décidé de leur sourire.

Il ne changea d’avis qu’en atteignant la Maison et en trouvant porte close.

Il resta un moment assis sur les marches des cuisines. Ses dents claquaient en raison du froid, alors qu’il réfléchissait et laissait au bateau le temps de s’éloigner. Mais s’il se trouvait encore là au matin il ne pourrait nier avoir participé à la fuite de Grant.

Et s’il leur fournissait la moindre preuvec

Jordan en ferait les frais.

Il n’avait d’autre choix que d’utiliser sa clé, ce qui déclencha les systèmes d’alarme.

Il s’éloignait dans un couloir juste au-delà des cuisines quand il vit des gardes venir à sa rencontre.

— Que faites-vous ici, ser ? demanda l’azi qui commandait la patrouille.

— J’ai éprouvé le désir de me dégourdir les jambes. J’avais buc et besoin de respirer un peu d’air frais.

L’azi informa le centre de sécurité de l’incident. Justin attendit. Il s’apprêtait à voir l’expression de l’homme se modifier lorsqu’il recevrait des instructions. Mais le garde se contenta de hocher la tête.

— Bonsoir, ser.

Justin s’éloigna sur des jambes tremblantes et prit l’ascenseur pour regagner son appartement.

Les lieux s’illuminèrent.

—  Aucune entrée depuis la dernière utilisation de cette clé,a

Il gagna la chambre de son ami, prit ses effets et les suspendit dans le placard ou les entassa dans les tiroirs. Il trouva des choses étranges, parmi les affaires de l’azi. Un souvenir de pacotille : un badge de spatial du cargo Kittihawkque Jordan lui avait acheté à l’aéroport de Novgorod, parce qu’il s’était vu refuser l’autorisation de les accompagner. Deux photos : Justin à quatre ans, blême et décharné, avec une tignasse rousse débordant d’un chapeau ridicule qu’il gardait sur son crâne à longueur de temps, occupé à creuser un grand trou dans le jardin avec l’azi. Un autre cliché des deux enfants, empotés comme on l’est à dix ans, debout contre la clôture de l’enclos du bétail, les pieds nus, les orteils recourbés telles des griffes de pigeon sur la barre du bas, les bras croisés sous le menton et arborant des sourires de débiles.

Dieuc il comparait cela à l’amputation d’un membre, avant que la souffrance ne parvînt au cerveau. Mais il la percevait déjà dans ses entrailles et elle lui a