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— Que de sang, s’éto
Juve, à ce moment, hochait la tête :
— Oui, faisait-il, pour que tout ait été éclaboussé comme cela, il faut qu’il y ait eu une lutte terrible entre la victime et ses assassins. Cela do
Juve s’interrompait, pour reprendre d’une voix nette :
— Mais procédons par ordre.
Avec l’habileté qui lui était particulière, Juve commençait alors son enquête. Lentement, très lentement, avec une extrême minutie, il parcourait les pièces désertes, notait les traces de cambriolage, notait les meubles renversés, se gardant d’aller et de venir, prenant grand soin à ne rien changer de place.
— Examinons, disait-il simplement à Fandor. Dans une enquête, ce qu’il faut d’abord, c’est avoir de bons yeux.
Juve, en opérant de la sorte, notait vite l’emplacement de la malle jaune. Elle avait dû être placée en dernier lieu dans un angle du corridor, on voyait encore sur le tapis la place très nette de son fond.
— Parfaitement, déclara Juve, se frottant les mains au moment où il faisait cette découverte. Jusqu’à présent, l’hypothèse de la concierge semble être la bo
Juve continua de parcourir les pièces, hochant la tête, intéressé.
Or, le temps passait. Fandor, qui, d’abord, avait suivi Juve pas à pas, quittait bientôt le policier.
— Dites donc, mon bon ami, commençait le journaliste, je vais aller écrire un bout d’article sur la table dans la salle à manger. Si vous découvrez des choses sensatio
Juve faisait oui de la tête et Fandor allait se mettre au travail.
Or, il y avait à peine une demi-heure que Fandor noircissait du papier, pour le plus grand intérêt des lecteurs de La Capitale, lorsque Juve apparaissait dans l’encadrement de la porte.
— Fandor, appelait le policier.
— Oui, qu’est-ce qu’il y a ? demanda le journaliste.
— Lis-moi ton papier.
Fandor, assez surpris, commença :
— J’ai un titre épatant, Juve, écoutez cela :
Une nouvelle affaire Gouffé [4] . Un vieillard est tué dans son propre appartement, son corps est mis dans une malle… La police…
Fandor n’avait pas même le temps de terminer son titre.
Juve interrompait sa lecture :
— Fandor, déclarait le policier, je te disais ce matin que tu étais un idiot, maintenant je t’affirme que tu es une gourde.
— Ah ça, qu’est-ce qui vous prend ? interrogea Fandor. Pourquoi suis-je une gourde ?
— Parce que, répliqua le policier, tu te laisses rouler par plus malin que toi.
— Ce qui veut dire ?
Mais Juve ne répondait pas à cette interrogation.
— Viens, faisait-il en ricanant.
Alors, Jérôme Fandor se leva, surpris :
— Juve, j’ai horreur des énigmes. Vous m’avez traité de gourde, cela me vexe. Dites-moi pourquoi je suis une gourde, ou je me livre à des extrémités fâcheuses.
Le journaliste parlait d’un ton moitié plaisant, moitié sérieux.
Juve lui répondit par un grand éclat de rire :
— Fandor, tu es une gourde, parce que tu te laisses rouler par un vieux bonhomme. Parce que le nommé Baraban n’est pas assassiné, comme tu le crois, parce qu’il se porte, j’imagine, aussi bien que toi et moi, parce que même, je ne suis pas loin d’imaginer qu’il s’amuse beaucoup plus que nous en ce moment.
Et comme Fandor regardait à cet instant Juve, avec un air véritablement ahuri, le policier continuait :
— Tu vois cet affreux désordre, Fandor ?
— Oui, eh bien ?
— Eh bien, ce désordre-là me fait penser à une histoire d’amour.
C’étaient encore là des paroles si énigmatiques que Jérôme Fandor s’emporta :
— Parlez donc clairement, nom d’un chien ! Vous êtes assommant, Juve. Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’est-ce que vous inventez ?
— Rien, affirma Juve tranquillement, je n’invente rien et je regarde.
— Qu’est-ce que vous regardez, alors ?
— Ceci, cela et cela encore.
Juve, de son doigt, désignait le bureau fracturé, la glace cassée, une carpette en poil de chèvre toute maculée de sang.
— Tu ne comprends pas, interrogea-t-il.
— Non, grogna Fandor, mais je crois que vous déménagez.
— Tais-toi et écoute.
Juve, calmement, expliquait :
— Mon petit Fandor, crois-tu qu’il soit utile de défoncer un tiroir lorsque la serrure est ouverte ?
— Hein ? s’exclama le journaliste.
— Dame, reprit Juve, c’est ce qui a été fait ici. Regarde, je n’invente pas, ce tiroir est défoncé, et pourtant la serrure est ouverte, mais je continue. Crois-tu qu’on puisse casser la glace d’une cheminée au cours d’une lutte sans casser une pendule qui est juste devant l’endroit où le coup a été porté ?
Fandor ne répondit pas, mais tressaillit.
Juve disait vrai, la glace de la cheminée était fendue, l’endroit où l’objet qui l’avait cassée était tombé, était nettement visible, il se trouvait derrière une pendule qui, elle, était intacte.
— Enfin, continuait Juve, crois-tu encore que lorsqu’on traîne un cadavre au point qu’il laisse sur les tapis une traînée de sang analogue à celle que nous voyons, le poids de ce cadavre ne redresse pas quelque peu les poils du tapis ? Autrement dit, expliques-tu comment on aurait pu traîner le corps de ce Baraban sur une carpette de chèvre dont les poils sont parfaitement et régulièrement inclinés en travers ?
Fandor, encore, demeurait muet.
— Maintenant, reprenait Juve en entraînant Fandor, et en le conduisant dans toutes les pièces de l’appartement, explique-moi ces autres détails : comment comprends-tu que des cambrioleurs, des assassins, des meurtriers, soient assez délicats pour ne casser, ne fracturer, ne briser, en un mot, que les objets de peu de valeur ? Or, c’est bien ce qu’ils auraient fait ici. Tu peux t’en convaincre toi-même, tout le mobilier de prix est intact. Tous les objets précieux ont été préservés du pillage. C’est au moins bizarre, hein ?
Les remarques du policier étaient si troublantes, ses observations si inattendues, que Fandor, un instant encore, demeurait muet.
Il retrouvait toutefois la parole pour interroger de nouveau Juve :
— Ah ça, disait-il, qu’est-ce que vous inventez donc, Juve ? Ma parole, on dirait que vous ne croyez pas qu’il y ait eu crime et cambriolage ?
Or Juve, à ces mots, souriait tranquillement :
— Mais bien entendu, faisait-il, que je n’y crois pas ou plutôt que je n’y crois plus. Tiens, ou je me trompe fort, Fandor, ou voici ce qui s’est passé ici : je ne co
— Oui, avoua Fandor, c’était ce qu’on appelle un beau vieillard. Mais quelle conclusion en tirez-vous ?
Juve eut un grand geste du bras :
— J’en conclus, répondait-il, que tout ce que nous voyons ici c’est de la mise en scène. M. Baraban, pour moi, a voulu faire croire à sa mort. Il a répandu le sang que tu vois, il a brisé les meubles auxquels il tenait le moins. Il a organisé la comédie, enfin. Et il est parti. Cherchons la femme, Fandor. Je suis bien près d’imaginer que ce soi-disant assassinat a pour cause quelque fugue, en compagnie d’un jupon.
L’hypothèse était si invraisemblable, si osée, si inattendue surtout, que Fandor s’éto
— Bigre, disait-il, comme vous y allez, Juve, une fugue ? C’est bien vite dit, c’est une explication bien facile, mais encore faudrait-il qu’elle soit vraisemblable. Tenez, la malle, qu’en faites-vous ?
— La malle, riposta Juve, mais elle vient à l’appui de ma thèse, la malle, parbleu ! C’est tout simple, elle a servi pour la fugue. Ça n’est pas Baraban qui se trouve dedans, sois bien tranquille à cet égard. Ce sont ses chaussettes, ses chemises, ses caleçons, et peut-être bien les cache-corsets de la dame.