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– Tu avoues enfin que tu l’aimes ? murmura le second.

– Oui… et quand je pense que je pourrais être son mari depuis des a

– Il ne faut pas ! Je vous vois mal engagés l’un et l’autre dans un mariage arrangé d’avance. Tu as joué ton rôle d’ho

– Tu as raison. Mais au fait, toi ? Tu pourrais épouser Lisa. Tu es libre comme l’air et tu l’aimes aussi ?

– Oui, mais moi elle ne m’aime pas… Et puis, je crois que je suis le type parfait du célibataire. Je ne me vois pas marié – les jumeaux n’aimeraient pas ! – à moins… à moins que j’épouse Plan-Crépin ?

– Tu veux rire ?

– Pas vraiment. C’est une fille cultivée, une fouineuse doublée d’une acrobate qui ferait sans doute merveille sur un chantier de fouilles. Sans compter ses talents de détective !

– Mais enfin, tu l’as regardée ?

– À moins d’une grave disgrâce physique, il n’y a rien qu’un bon couturier et un bon coiffeur ne puissent accomplir comme transformation. Cela dit, rassure-toi ! Je ne vais pas priver Mme de Sommières de son fidèle bedeau mais il se peut que, plus tard, j’offre à Marie-Angéline… un poste de secrétaire… ou d’amie fidèle ! Je suis certain qu’on travaillerait très bien ensemble… Je la trouve marrante, moi, cette fille !

Le temps passait sans ramener le rabbin. Aldo commençait à s’inquiéter :

– J’ai envie d’aller voir ce qu’il devient…

– Vaut mieux pas. Ça pourrait ne pas lui plaire. Il nous a dit de veiller, veillons !

– Tu as sans doute raison mais je n’aime pas cette atmosphère… ni cet endroit. Je me fais l’effet d’être un revenant. Ça me fait penser à un poème de Verlaine que j’aime bien pourtant…

– « Dans le grand parc solitaire et glacé, deux ombres ont tout à l’heure passé… », récita Vidal-Pellicorne. Moi aussi j’y ai pensé… à cette différence près que nous ne sommes pas un couple d’anciens amoureux.

Morosini eut un petit rire bas qui ne le réchauffa pas :

– Comment fais-tu pour savoir presque toujours ce qui me passe par la tête ?

Adalbert haussa les épaules :

– Ça doit être ça, l’amitié ! … Tiens, le voilà qui revient !

La haute forme noire aux longs cheveux blancs venait d’apparaître.

– Rentrons ! dit-elle seulement quand elle fut auprès des guetteurs.

En silence ils quittèrent le cimetière, regagnèrent la maison où les chandelles brûlaient toujours. De sous son ample vêtement, Jehuda Liwa tira un paquet enveloppé de forte toile grise et de fin tissu blanc qu’il déballa sur sa table : le grand pectoral apparut, magnifique et brillant, tel que Morosini l’avait vu deux ans plus tôt entre les mains de Simon Aronov. À une seule différence près : il ne manquait plus qu’une pierre, une seule au milieu des quatre rangées de cabochons sertis d’or. Les trois autres, le saphir, le diamant et l’opale avaient été remis en place et ce n’est pas sans émotion qu’Aldo, penché sur le joyau, toucha du doigt la pierre étoilée que sa mère portait jadis…

– Do

Pendant un moment, ses doigts déliés s’activèrent à dessertir le rubis avec un soin extrême. Puis, le gardant sur sa paume, il alla le poser sur le rouleau ouvert de la Thora où Morosini eut l’impression qu’il lançait des feux plus intenses que jamais, comme s’il cherchait à se défendre. Le grand rabbin étendit au-dessus de lui ses mains en prononçant des paroles incompréhensibles, mais qu’au ton de la voix on pouvait deviner des ordres. Un fait étrange se produisit alors : peu à peu, les éclairs rouges faiblirent, rentrèrent dans la pierre qui, lorsque les mains s’écartèrent, ne fut plus qu’une gemme d’un beau rouge profond brillant sous la lumière blonde des chandelles. Liwa le reprit :

– Voilà ! dit-il. Désormais, il ne fera plus de mal à perso

– Pourquoi attendre ? demanda Aldo. Tout va rentrer dans l’ordre et le pectoral est désormais en votre possession. C’est, je pense, sa meilleure destination ?



– Non. Ce n’est pas ainsi que s’accomplira la prédiction. Quelqu’un doit le rapporter sur la terre de nos ancêtres. C’est ce qu’aurait fait Simon Aronov que l’Éternel accueille à sa droite ! Vous êtes son envoyé, prince Morosini, et, à défaut de lui, c’est à vous qu’incombe le soin de le rapatrier !

– Mais à qui le remettre ?

– Je vous le dirai. Laissez-moi travailler ! Vaincu mais non résigné, Aldo accepta le verre qu’Adalbert lui tendait et le vida d’un trait, puis en prit un autre. Pendant un moment, les deux hommes attendirent en silence. Enfin Adalbert osa élever la voix :

– Pouvons-nous vous parler ? demanda-t-il. Ou bien en serez-vous troublé dans votre tâche ?

– Non. Vous pouvez parler. Que voulez-vous savoir ?

– Pourquoi ne pas aller vous-même en Terre sainte ?

– Parce que je dois demeurer ici et qu’en partant je remettrais peut-être le pectoral en danger. Il faut qu’il arrive en de certaines mains. Un étranger noble, riche et bien introduit, sera beaucoup mieux accueilli par les Anglais.

– Et vous pensez que les Juifs vont se rendre en masse là-bas quand il y sera ?

– Quelques-uns, sans doute, mais l’exode se fera plus tard… dans une vingtaine d’a

– Simon disait pourtant, intervint Morosini, que si nous faisions assez vite pour reconstituer le pectoral, Israël pourrait être sauvé ?

– Il lui fallait vous exciter à la chasse… et puis peut-être voulait-il y croire ? De toute façon, la tradition n’a pas dit qu’Israël retrouverait sa souveraineté dès que le pectoral serait rentré au bercail, mais bien que notre peuple ne pourrait retrouver sa terre et sa puissance tant que le symbole sacré des tribus ne serait pas de retour. Cependant, il est une épouvantable épreuve que nous ne pourrons pas éviter. Israël passera par les feux de l’Enfer avant de se retrouver.

Une heure plus tard, le pectoral était reconstitué dans son antique splendeur et le rabbin l’enveloppait du linge immaculé et de sa toile.

– J’aimerais mieux que vous le gardiez, soupira Morosini qui le regardait faire. Avant de mourir, Simon nous a dit que vous étiez le dernier Grand Prêtre du Temple dont certaines pierres sont imbriquées dans votre synagogue. Vous pourriez l’y cacher… dans le grenier, par exemple ?

Les yeux de Jehuda Liwa s’attachèrent à ceux du prince, perçants comme des flèches de feu :

– Ce n’est pas sa place. Ce que recouvre le toit de Vieille-Nouvelle ressort de la Justice et de la Vengeance divines. Le pectoral doit porter l’espoir en revenant là d’où il n’aurait jamais dû partir.

– Très bien ! Il en sera fait selon votre volonté…

Il avait étendu les mains, pris le paquet gris qu’il cacha contre sa poitrine, retenu par la ceinture serrée de l’imperméable.

– Est-ce que tu n’oublies rien ? dit le grand rabbin, voyant qu’il se disposait à partir.

– Si vous voulez ajouter votre bénédiction, je ne refuse pas.

– Je pense à cette femme de Séville dont l’âme en peine…

– Seigneur ! gémit Morosini qui devint tout rouge. La Susana ! Comment ai-je pu oublier celle à qui nous devons le rubis ?