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— Monsieur Morosini ! Mais quel plaisir inattendu !… et d’abord comment allez-vous ?

— Aussi bien que possible ! Vous m’avez magnifiquement réparé et je ne suis pas près d’oublier votre hospitalité.

— Laissez ! Laissez ! J’étais heureux de vous l’offrir. Voulez-vous entrer un moment ?…

— Mais vous sortiez ?

— Rien d’urgent ! J’allais chez mon libraire… Cela peut attendre. D’autant que je crains bien de devoir vous a

— Quoi donc ?

— Vous veniez voir Jehuda Liwa, n’est-ce pas ?

— Bien entendu ! Je lui suis, croyez-moi, très attaché…

Ebenezer Meisel hocha la tête avec tristesse et prit le bras d’Aldo pour le faire entrer dans sa demeure :

— Il vous faudra désormais vous contenter du souvenir, mon ami. Le Grand Rabbin de Bohême n’est plus. Mais venez vous asseoir : nous causerons mieux dans mon cabinet.

Aldo se laissa emmener. Une cruelle déception amplifiait la peine inattendue que lui causait la nouvelle. Depuis trois jours, il avait placé tant de confiance dans les pouvoirs surnaturels d’un homme à l’appel duquel obéissait l’ombre de l’empereur Rodolphe II, ami des magiciens et des alchimistes ! Il était certain de sortir de chez lui avec au moins un fil conducteur, une indication… si même Jehuda Liwa n’était pas capable de lui livrer toute l’histoire de l’Ourim et du Toummim ! Cette mort le laissait désarmé, hésitant à nouveau sur le chemin à suivre, parce qu’il n’arrivait pas à croire que les « sorts sacrés » pussent reposer au milieu des richesses d’un des plus importants trésors qui soient au monde. Mais il ne voulait pas offenser celui que le recevait en ami et, s’il ne songea pas un instant à cacher ses regrets, il n’en écouta pas moins attentivement le récit de la disparition de l’homme en qui s’incarnaient tout le savoir et toute la puissance spirituelle du peuple d’Israël…

L’événement en lui-même était simple quoique étrange : une nuit de shabbat un incendie s’était déclaré dans le laboratoire d’alchimie du rabbin, situé au rez-de-chaussée et sur l’arrière de la maison. Tout y avait brûlé mais l’épaisseur des murs, la voûte de pierre et la porte en fer avaient protégé le reste du logis tout en empêchant les secours d’aborder. Quand, au petit matin, on avait pu enfin pénétrer dans l’espèce de caveau, il ne restait que des carcasses de fer, des cendres, des enduits vitrifiés et quelques fragments d’os que l’on avait rassemblés pieusement pour les enterrer.

— Pensez-vous à un accident ou à un acte criminel ? demanda Morosini qui avait suivi le docteur dans sa cuisine où il était en train de faire du café, sa gouvernante étant déjà partie pour le marché.

— Perso

— Un suicide ? De cette manière atroce ?…

— Ce n’était pas un homme comme les autres. S’il y avait eu accident, on l’aurait entendu crier, appeler au secours. Mais on n’a rien entendu du tout. En outre, son serviteur que vous co

— Voilà le mobile du crime : on a tué le rabbin pour le lui voler…

— Non. Lui aussi a brûlé : Abraham a retrouvé une des ferrures de la reliure. Pour une raison co

Morosini resta songeur en pesant chacune des paroles qu’il venait d’entendre :





— C’est possible, après tout ! Pourtant quelque chose me choque : lui, le gardien des traditions, se suicider la nuit du shabbat ?

— L’incendie a dû éclater vers deux heures du matin le dimanche. Le shabbat s’achevait à minuit… On a enterré dans le cimetière le peu qu’on a retrouvé…

— Pourrez-vous m’y conduire ?

— Tout de suite, si vous le voulez…

Un moment plus tard, tous deux pénétraient dans le vieux cimetière juif si étrange et si pittoresque avec ses vagues de pierres qui se chevauchaient en un désordre qui n’était pas sans beauté. Le vent d’automne qui soufflait ce matin-là faisait voltiger les feuilles mortes comme des papillons et l’odeur de la terre humide remplaçait la divine senteur de sureau et de jasmin des beaux jours. À la surprise d’Aldo qui se demandait où l’on avait bien pu trouver, dans ce chaos, une place digne de cet homme hors du commun, Meisel le conduisit devant la haute stèle ornée de volutes, d’inscriptions hébraïques et surmontée d’une forme de pomme de pin, où reposait depuis le XVIIe siècle le fameux rabbin Löw, le maître du Golem, cette créature d’argile qu’il avait suscitée pour en faire son serviteur…

— C’est là ! fit Meisel sobrement.

— Comment, là ? Vous l’avez mis dans cette tombe ?

Ebenezer Meisel ramassa un caillou, le posa pieusement sur l’entablement de la stèle, s’inclina par trois fois :

— Il nous est apparu que c’était sa place normale, dit-il. À présent, je vous laisse méditer mais j’espère que nous nous reverrons et que vous n’oublierez pas le chemin de ma maison. Même s’il n’est plus là, ajouta-t-il avec un mouvement de tête en direction du tombeau…

— Soyez-en certain, mais je vous dis adieu pour l’instant : je repars tout à l’heure…

Un long moment, Morosini resta debout devant la stèle, méditant les paroles du médecin : « Il nous est apparu que c’était sa place normale… » Sans surprise. Il se souvenait de ce qu’avait dit le baron Louis de Rothschild lorsqu’il lui avait do

Morosini choisit, dans les environs, une pierre blanche, ronde et polie comme un galet et la posa sur la stèle, se recueillit, salua de la tête et du buste puis quitta le cimetière sans se retourner. Il n’avait plus rien à faire à Prague d’où il emportait une déception sévère : il avait tant compté sur les éto

Il avait toujours aimé Vie