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— Vous l’avez vu, le cousin Gaspard ?

— J’en étais bien incapable. C’est Adalbert qui est allé chez lui.

— Et le pire, soupira celui-ci, c’est que c’est un type bien. Il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit qu’il n’avait révélé que ce qu’il a vu. Et quand j’ai émis l’idée que les services d’un détective privé ne s’imposaient pas, il m’a répondu qu’il aimait Lisa depuis longtemps et qu’il considérait toute atteinte à sa souveraineté conjugale comme une offense perso

— Vous avez aussi bien fait d’éviter un scandale. Au point où nous en sommes, je crois sincèrement Aldo, que le temps travaillera pour vous et qu’il vous faut seulement être patient… et sage !

Ayant dit, Mary vida son verre d’un trait et se leva :

— Si nous allions dîner ? J’ai très faim…

Tout en suivant la jeune femme dans la grande salle à manger où les ventilateurs faisaient saluer les fleurs dans leur vase, Aldo bougo

— Sage, sage ! Ça veut dire quoi, ça ?

— Qu’il y a aux Indes des tas de femmes ravissantes avec de grands yeux de biche qui do

— Que n’est-elle venue s’en assurer ? Elle est invitée elle aussi à Kapurthala et elle n’a même pas daigné do

— Vous êtes vous-même un spectacle assez exceptio

— Vous êtes insupportable, Mary ! Vous tournez tout à la plaisanterie ! Pour changer, si vous nous disiez ce que vous faites vous-même ici, et seule ? Vous n’avez pas l’âge de jouer les vieilles exploratrices recuites au soleil.

— Oh, je suis comme vous : je ne fais que passer et je bénéficie d’un statut de perso

— Bravo ! applaudit Adalbert. C’est ce qui s’appelle une consécration, Lady Mary ! Vous devez être enchantée ?

— Ouuuui… encore que les portraits officiels soient souvent e

— En effet…

— Lequel ?

Occupé à passer commande au maître d’hôtel, Morosini ne répondit pas. Ce fut Adalbert qui s’en chargea :

— Nous allons chez le maharadjah d’Alwar.

Mary eut une sorte de hoquet tandis que ses jolis yeux noisette s’effaraient :

— Oh non ! Vous n’allez pas vous rendre chez ce malade ?

— Vous le co





— Perso

— Pouah ! fit Adalbert, le vilain bonhomme !

— Il se veut pourtant saint homme, observateur farouche de la loi religieuse. Il est intarissable sur le mysticisme hindou et la réincarnation.

— Ça je le sais, sourit Aldo qui se souvenait sans grand plaisir de sa longue journée passée au Claridge. Mais il sait aussi être généreux et amical. Il m’en a do

— J’ai dit qu’il était fastueux : ce n’est pas la même chose. Je vais vous raconter une anecdote qui a eu pour cadre la Résidence de Delhi où je me rends. La Vice-Reine tenait absolument à l’avoir pour je ne sais plus quelle fête à cause de sa réputation de magnificence. Il a commencé par refuser sous prétexte qu’on le ferait sans doute asseoir dans un fauteuil de cuir et que sa religion, suprêmement respectueuse des vaches sacrées et autres veaux, lui interdisait tout contact avec leurs peaux. Il alléguait d’ailleurs qu’il n’avait jamais touché de cuir et ne portait que des gants de soie.

— Il en porte même deux paires, observa Morosini.

— Vous savez déjà ça ? Pour lui plaire, la Vice-Reine a fait recouvrir tout son mobilier de chintz fleuri – il a une passion pour les roses ! – et le lui a fait savoir. Il est donc arrivé à Delhi dans une de ses Rolls dont, par surcroît de prudence, il avait fait capito

« Invité à un grand dîner il est arrivé somptueusement paré, véritablement ruisselant de diamants, et, pendant le repas, Lady Willingdon a beaucoup admiré une bague de diamants qu’il portait sur ses fins gants de soie destinés à éviter les contacts impurs. Il l’a retirée, la lui a présentée. Naturellement, elle l’a passée à son doigt pour juger de l’effet produit. Or, cette noble dame a un petit défaut, qu’elle partage avec la reine Mary : lorsqu’elle se trouve chez quelqu’un et admire un objet ou un autre, il est… de bon goût de le lui offrir. Et cela Alwar le savait.

« On s’attendait donc à ce que la bague devînt la propriété de son hôtesse mais il ne l’entendait pas de cette oreille. Trouvant que ses diamants s’attardaient un peu trop à la main de la Vice-Reine qui s’admirait complaisamment, il l’a priée de les lui rendre. Si on peut appeler ça prier ! Ensuite il a appelé un serviteur pour lui ordo

— C’est une incroyable muflerie, fit Aldo, mais ce n’est pas pendable. J’aime moins l’épisode des chars à bœufs…

— Je suis d’accord avec vous, mais tout ceci est destiné à vous dissuader de vous rendre à Alwar. Il ne peut vous y arriver que des catastrophes…

Adalbert se mit à rire :

— Pas à lui, ma chère ! Il adore Aldo et le traite avec une incroyable révérence…

— C’est bien ce qui m’inquiète le plus ! Il a cinq épouses mais sa pédérastie est notoire. Tous ses « aides de camp », dont certains n’ont pas plus de dix ou douze ans, y sont passés ou y passeront. Il les choisit toujours pour leur beauté !

Morosini posa sa main sur celle de la jeune femme dans un geste apaisant :

— Ma chère, je ne suis pas un perdreau de l’a

— Eh bien justement ! Si vous avez une affaire à traiter, vous la traiterez mieux là-bas !

— Impossible ! Je dois livrer à Alwar le joyau qu’il m’a acheté. C’est la condition  sine qua non.

— C’est une histoire de fous ! Renvoyez-lui son argent et vendez à quelqu’un d’autre !

— Eh non, ma pauvre amie ! Ce joyau est une vraie malédiction et je suis trop heureux de lui avoir trouvé un acheteur. Et puis j’ai do

— Et puis je serai là ! conclut Adalbert avec un large sourire. À nous deux on devrait en venir à bout. On en a vu d’autres…

Mary Winfield ne répondit pas. Son regard méditatif s’attacha tour à tour à ces deux figures d’homme qui l’encadraient et se fixa sur celle de Morosini.