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— Notre arrivée a dû décourager l’esprit frappeur, dit enfin Adalbert en tournant dans sa tasse une cuillère rêveuse. Mais pour combien de temps ?

— Jusqu’à ce soir sans doute… À moins qu’il ne se passe rien si Mlle Autié n’y est pas ?

— C’est ce que je te propose de venir voir : on la ramène à l’hôtel, on la confie à Tante Amélie et à Marie-Angéline et nous revenons à la tombée de la nuit. On prendra la garde à tour de rôle.

— Tu crois qu’elle acceptera ? Souviens-toi que jusqu’à ce soir elle a toujours refusé ?

— Oui, mais elle vient d’avoir très peur.

— Autre problème : l’hôtel est plein comme un œuf !

— Bah, je suis bien sûr que notre Plan-Crépin acceptera volontiers de partager sa chambre avec elle. On fera rajouter un lit… point final !

— Oui, mais ça ne durera qu’un temps. Tôt ou tard, il faudra qu’elle réintègre son logis. Elle y tient et c’est compréhensible !

— On fera ce qu’il faut ! Quitte à rendre visite à l’évêque de Versailles pour lui demander l’aide de son exorciste… Il n’y a aucun doute pour moi cette maison est ce que l’on appelle « visitée ». Une fois par an c’est supportable mais toutes les nuits c’est invivable !

— Et si on organisait une séance de spiritisme ? Je suis certain que Plan-Crépin nous arrangerait ça parfaitement. Avant de lui balancer de l’eau bénite, à cet esprit, on pourrait essayer de savoir ce qu’il veut !

— C’est une idée, approuva Morosini, et quelque chose me dit que Marie-Angéline pourrait avoir des talents de médium. Elle a quelquefois de ces inspirations !

— Tu veux rire ? Pieuse comme elle est – et même un rien bigote ! – elle va nous envoyer promener !

— Pas sûr ! À présent, prends ton courage à deux mains, tes jambes à ton cou et va nous chercher une voiture !

Adalbert parti, Aldo dénicha une valise qu’il emplit de son mieux et réveilla la jeune fille aussi doucement qu’il le put. Elle devait être épuisée car il eut de la peine à y arriver. Enfin, elle ouvrit des yeux encore tout ensommeillés et, sans doute trop lasse pour livrer le moindre combat, accepta de se laisser emmener, ne protestant même pas en voyant qu’Aldo avait préparé son bagage.

— S’il vous manque quelque chose, on viendra le chercher, assura celui-ci mais j’ai l’impression qu’il est urgent pour vous de prendre un vrai repos et je vous avoue ne pas comprendre que vous ayez pu dormir dans cet atelier cauchemardesque !

— Ah, vous y êtes allés ?

— Naturellement ! Votre grand-père avait du talent, mais pour quelle raison ne vous êtes-vous pas débarrassée de ce buste que je trouve, pour ma part, indécent et assez terrifiant !

— Je n’en ai pas le droit. Dans son testament mon grand-père a stipulé que l’atelier devait rester tel qu’il l’a laissé sous peine de me déshériter. Quand je me réfugiais là-bas je mettais un drap sur le buste mais, au matin, je le retrouvais à terre…

Un bruit d’échappement libre l’interrompit. Aldo en conclut qu’Adalbert revenait avec son Amilcar :

— Tu vas réveiller tout le quartier, reprocha-t-il. Tu sais quelle heure il est ?

— Un peu plus de quatre heures du matin… et je n’ai pas vu le moindre taxi. En revanche, j’ai une chambre pour Mlle Autié : celle de je ne sais quelle baro

— Elle avait dû le convoyer perso

— Sans aucun doute, mais le malheureux a failli en faire une apoplexie.

On s’empila comme on put dans la petite voiture, Caroline à côté du chauffeur, la valise dans le spider, Aldo assis dessus et l’on regagna le Trianon Palace à une allure assez sage pour ne pas faire trop de bruit… C’était l’heure du ménage à l’hôtel et une femme de chambre conduisit la jeune fille à la sie

Inquiets tout à coup ils se précipitèrent jusqu’à sa chambre dont elle ouvrit elle-même la porte : elle était blanche comme sa robe de chambre à rubans mauves :

— Je vous ai vus arriver de ma fenêtre. Plan-Crépin n’est pas avec vous ?

— Non, fit Aldo. Elle devrait ?

— Quand vous êtes partis hier soir, elle vous a suivis. Vous la co



— Telle qu’on la co

— C’est ce que je voudrais savoir, murmura la vielle dame visiblement angoissée. Je n’aurais jamais dû lui permettre de participer à cette exposition : ça la rend folle !

— Ne vous faites pas de reproches, Tante Amélie ! Vous savez que lorsqu’elle a une idée en tête elle s’y accroche comme une arapède à son rocher… Elle était loin derrière nous ?

— Elle ne voulait pas vous perdre de vue. Or il faisait nuit et il pleuvait. Elle ne devait pas être à des kilomètres.

— Et nous n’avons pas rencontré âme qui vive, réfléchit tout haut Adalbert qui ajouta aussitôt : Mais j’y pense, quand nous sommes passés devant la maison du colonel Karloff, il y avait de la lumière. Quand elle y est arrivée derrière nous, Marie-Angéline a dû être fixée sur notre destination. Elle est peut-être entrée pour savoir si sa femme avait des nouvelles !

— Très juste ! approuva Aldo. On y va !

Mais quand Adalbert arrêta son bolide devant la maison des Russes il n’y avait trace d’aucune lumière ni d’ailleurs le moindre signe de vie. Aldo regarda sa montre :

— Il est trop tôt. J’aurais scrupule à troubler le sommeil sûrement fragile de cette malheureuse femme ! Si Karloff était revenu nous aurions trouvé autre chose que ce morne silence…

Ils restèrent assis un moment dans la voiture à regarder le ciel s’éclaircir puis se moirer de longues traînées roses. Aldo alluma une cigarette :

— L’aurore ! murmura-t-il après avoir rejeté la première bouffée. C’est, comme l’arc-en-ciel, une lumière que j’ai toujours aimée. Elle a

— Ou du vent ! grogna Adalbert occupé à bourrer sa pipe. Qu’est-ce qu’on fait à présent ?

— Aucune idée ! exhala Morosini avec lassitude. Toi non plus apparemment ?

— On peut patrouiller à vitesse réduite dans les rues de Versailles. Il y aura peut-être un indice ? Quelqu’un qui l’aurait remarquée… Tiens, voilà des hirondelles ! ajouta-t-il en désignant deux agents à vélo à qui leur grande cape avait valu ce surnom et qui piquaient droit sur eux.

Le premier arrivé toucha sa casquette plate en se penchant vers la portière côté passager :

— On peut savoir ce que vous faites là, messieurs ? demanda-t-il poliment.

— Nous partons, répondit Vidal-Pellicorne. Nous nous sommes avisés qu’il était peut-être un peu trop tôt pour rendre visite à une dame…

Le policier jeta un coup d’œil à la maison sans doute pour en vérifier le numéro :

— C’est Mme Karloff que vous veniez voir ?

— Exactement ! Elle est l’épouse d’un de nos amis disparus et…

— Vos papiers, s’il vous plaît.

— Voilà, fit Adalbert en tirant son portefeuille. Encore que je ne voie pas pourquoi il vous les faut ? Nous sommes animés des meilleures intentions.

— En ce cas vous allez nous aider, conclut l’homme tandis que son camarade, après avoir vérifié l’identité d’Aldo, actio

Morosini se sentit pâlir :

— Vous avez des nouvelles du colonel ? Il est…

— Mort, non. Mais il a été transporté il y a deux heures à l’hôpital avec une vilaine blessure à la tête…

Adalbert prit feu :

— Et c’est vous que l’on envoie prévenir sa femme ? Lemercier n’aurait pas pu envoyer une voiture ? Cette malheureuse va vouloir se rendre au chevet de son époux. Vous pensiez pouvoir la mettre sur le cadre de votre bicyclette ?