Добавить в цитаты Настройки чтения

Страница 47 из 78

À Amsterdam, l’appellation Judenbuurt n’impliquait nullement l’idée de ghetto ou d’un quelconque monde à part. Les gens de la « Venise du Nord » – un surnom qui agaçait Morosini ! – ayant toujours été totalement étrangers aux préjugés religieux, il ne leur était pas apparu utile de recourir à des circonlocutions hypocrites. De même, les juifs n’avaient jamais cherché à s’identifier ou à éviter de le faire. La question ne se posait pas, tout simplement. Ils étaient venus jadis d’Espagne ou du Portugal, chassés par l’Inquisition, et avaient apporté avec eux leur savoir-faire et leur art du négoce. Ils contribuèrent avec succès aux entreprises commerciales avec les Indes, fondèrent des librairies dont les ouvrages en hébreu se répandirent dans toute l’Europe et furent suivis d’autres en différentes langues, éditant des livres passés en contrebande parce que interdits ailleurs. Enfin l’industrie du diamant constituait un autre secteur juif et la fameuse maison Asscher, qui eut l’ho

Jacob Meisel habitait, dans la Judenbreestraat, une belle vieille maison à pignon « en cloche » et la porte fut ouverte au visiteur par une jeune fille aux joues roses dont le bo

La jeune fille s’esquiva mais revint rapidement, invita Morosini à la suivre, le menant presque au bout du couloir, et l’introduisit dans une pièce dont la large fenêtre à petits carreaux do

— Soyez le très bien venu, Monsieur le prince ! Les amis du baron Louis sont chez eux dans ma maison et je suis heureux de co

— L’un de ceux, corrigea Aldo en serrant la main qu’on lui tendait. Sans Adalbert Vidal-Pellicorne… et sans vos pierres si merveilleusement imitées, je n’en serais jamais venu à bout.

— Qui peut savoir ? Mais prenez place, s’il vous plaît, et dites-moi ce qui me vaut une si heureuse visite… Puis-je vous offrir du thé, du café, du chocolat ?

— Votre choix sera le mien, murmura Aldo en s’asseyant sur un siège d’ébène garni de coussins jaunes… et en luttant désespérément contre une soudaine envie de pleurer parce qu’il venait de s’apercevoir que la manche gauche du vêtement de laine brune de Jacob Meisel pendait à son côté. Vide !…

Cet homme souriant au visage affable, aux doux yeux gris, à la voix chaleureuse, était manchot. Jamais plus il ne pourrait réaliser l’exploit qu’il s’apprêtait à lui demander !

En dépit de son habituel empire sur lui-même, sa déception dut transparaître sur sa figure car, en reprenant sa place, Meisel dit :

— L’accident qui m’a privé de ce bras est relativement récent. Le baron Louis n’est pas au courant…

— Que vous est-il arrivé ?

— Une affaire stupide, il y a six mois… Sur les quais, une voiture de livraison m’est passée dessus : il a fallu m’amputer mais j’espère pouvoir porter, bientôt, une prothèse… Vous êtes très désappointé, n’est-ce pas ?

— Je suis surtout désolé, comme le sera le baron, qu’un sort malheureux vous ait infligé cette épreuve !

— Oh, il y a pire ! Je ne suis plus jeune et ma femme, mes enfants ne savent que faire pour m’aider… Voulez-vous un peu de genièvre dans votre café ? Quelque chose me dit que vous en avez besoin ?

Devant la petite flamme d’humour qui pétillait dans les yeux du lapidaire, Aldo ne put s’empêcher de rire :

— Vous lisez en moi comme dans un livre ! Ce sera avec plaisir…

Le café était bon et l’alcool ajouta à son parfum. Ils en burent deux tasses puis Meisel reprit :



— Votre cas n’est peut-être pas désespéré ! Dites-moi ce qui vous amène ?

— Ainsi que vous le savez, j’ai eu en main certaines des pierres que vous avez copiées si magistralement. À commencer par l’Étoile bleue, le saphir wisigoth qui a jadis coûté la vie à ma mère, et, sur le conseil de Rothschild, je voulais vous demander de réaliser pour moi cinq émeraudes bien particulières que je croyais disparues depuis le XVIe siècle et qui vie

— Lesquelles ?

Morosini ouvrit sa serviette, en tira le livre dont la vue fit sourire Meisel :

— Ah ! Le Harper ! Je l’ai aussi ! Simon Aronov m’en avait trouvé un exemplaire…

— Encore un de ses exploits ! Selon moi, il ne doit en rester que cinq ou six au monde !

— Mais de quoi n’était-il pas capable ? Une sorte de génie l’habitait. Et puis il a disparu un jour sans que je puisse réussir à savoir ce qui lui était arrivé…

— Moi, je peux vous le dire puisque c’est moi qui ai mis fin à ses souffrances…

Et en quelques phrases simples Aldo raconta ce qu’avaient été les derniers moments du Boiteux de Varsovie, à la suite de quoi tous deux gardèrent un silence plein de respect.

— Ainsi, conclut Meisel avec tristesse, me voilà désormais assuré de ne plus le revoir. Je le redoutais mais je gardais espoir.

— Je suis navré de vous avoir ôté cette illusion parce que je sais combien cela peut être apaisant…

— La vérité est toujours préférable… (Puis, revenant au livre ouvert par Morosini à la bo

Aldo cependant se refusait à renoncer :

— N’y a-t-il perso

— J’en ai un, effectivement, mais les pierres ne l’intéressent pas. Il a choisi de servir le Seigneur et je ne peux que m’en réjouir. C’est une bénédiction pour une famille…

Il n’empêchait que l’ombre d’un regret perçait dans sa voix et son visiteur ne voulut pas y ajouter en évoquant la possibilité d’un élève. On le lui aurait déjà conseillé. Il referma le livre, le remit dans sa serviette et se leva :

— Vous avez raison : c’en est une et moi, j’emporte au moins le plaisir de vous avoir rencontré et d’avoir pu parler de Simon Aronov : vous êtes le seul avec mon ami Adalbert et le baron Louis avec qui ce soit possible !

— Voulez-vous attendre encore un instant ? Je serais trop désolé que vous ayez fait ce long voyage pour rien…

Il se dirigea vers une bancelle médiévale en ébène égayée de coussins jaunes qu’il ôta, en souleva le siège, découvrant ainsi un coffre-fort dont il fit jouer la combinaison, y prit quelque chose qu’il mit dans sa poche, referma et revint à sa table sur laquelle il déposa deux grosses émeraudes d’un vert chatoyant. Leur grosseur équivalait à peu près à celles qu’Aldo recherchait…