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Ayant eu la chance d’avoir pu garer sa voiture près de la maison Cartier, Aldo décida de l’y laisser. La place Vendôme n’en était guère éloignée et le magasin d’antiquités qui avait été celui de son ami Gilles Vauxbrun se trouvait juste au coin. Un coup d’œil à sa montre lui apprit qu’avant de rentrer déjeuner rue Alfred-de-Vigny, il avait suffisamment de temps pour une visite à son jeune successeur et, après avoir allumé une cigarette, il partit sans se presser dans cette direction en s’intéressant aux devantures des luxueux magasins étirés tout au long de la rue la plus chic de Paris : couturiers, bottiers, modistes et bijoutiers s’y marchaient pratiquement sur les pieds. Ou plutôt en feignant de s’y intéresser, l’esprit occupé par un bizarre débat intérieur qu’il s’efforçait de repousser ; tout près de la « boutique » de Vauxbrun et au plus large de la place, il y avait le Ritz où tout le monde, jusqu’au plus petit groom, le co
De toute façon, le dilemme était idiot. Après ce qui s’était passé à l’hôtel Drouot, il lui était impossible de prendre une fuite dont il n’avait nulle envie et, en outre, John-Augustus avait déjà téléphoné la veille au soir pour les inviter, lui et Adalbert… Donc inutile d’aller jouer les toutous perdus dans le hall du palace dans l’espoir d’apercevoir la dame de ses pensées.
Sans même s’en apercevoir, il se retrouva devant le luxueux magasin d’antiquités dont les vitrines n’exposaient, comme naguère, qu’un seul objet mais exceptio
Aldo les regarda s’éloigner vers le Ritz en serrant les poings, pris d’une folle envie d’aplatir le sourire enjôleur sur le visage scandaleusement régulier qui osait faire rire Pauline ! Elle-même était superbe dans un tailleur réchauffé de vison noir, comme le manchon où disparaissaient ses mains et la toque piquée d’une agrafe d’onyx et de diamants que le pâle soleil faisait scintiller en équilibre sur la masse lustrée du chignon noir serré sur sa nuque, fidèle en cela à ses habitudes, car elle ne portait jamais que du noir, du blanc et du gris, ce gris nuageux, insondable, qui était celui de ses yeux…
Au prix d’un effort plus pénible qu’il ne l’aurait cru, Aldo se détourna enfin et se réfugia dans le magasin où l’accueillit une exclamation de surprise :
— Le prince Morosini ! Mais quel plaisir inattendu !
C’était décidément la matinée des surprises, car plus anglais et plus réservé que M. Richard Bayley ne se pouvait trouver sur la terre… Déjà âgé mais d’une dignité sans pareille, courtois et facilement distant, celui qui avait été si longtemps l’assistant de feu Gilles Vauxbrun demeurait fidèle à lui-même, sa silhouette longiligne couro
Les deux hommes échangèrent une chaleureuse poignée de main.
— J’aurais dû me douter que vous viendriez, prince, dit Richard Bayley. La vente d’hier, j’imagine ?
— Bien sûr, mais de toute façon j’avais envie de venir voir comment se débrouille notre ex-futur procureur de la République aux prises avec les témoins des siècles passés !
— À merveille ! Il a une profonde culture et il ne cesse de la compléter, soutenu par l’image de son père qu’il souhaite par-dessus tout égaler ! Il est touchant de piété filiale… et vous serez éto
Il n’en eut pas la faculté : jaillissant dudit bureau, le nouvel antiquaire se figeait au seuil un instant puis, soudain rayo
— Aldo… qu’il corrigea aussitôt, confus : Prince Morosini ! Veuillez m’excuser ! La surprise…
— Il n’y a rien à excuser, mon garçon ! En m’appelant ainsi, tu me rends ton âge. Et c’est bien agréable ! Comment appelles-tu Vidal-Pellicorne lorsqu’il vient te voir ? Car je suppose qu’il vient ?
— Oh oui, et c’est toujours un plaisir ! Je lui dois tant !
— Alors comment l’appelles-tu ?
— Adalbert ! avoua le jeune homme en devenant rouge brique. J’ai eu un peu de mal dans les débuts, mais il y tient !
— Moi aussi, figure-toi ! Tu m’offres un verre ? Si toutefois tu as conservé les traditions paternelles…
— Je les cultive, alors je ne vais pas déroger à celle-là ! Fermez la boutique et venez nous rejoindre, Monsieur Bailey ! J’ai fait rentrer du whisky la semaine dernière !
— Je n’en doute pas, mais vous serez mieux seuls pour cette première visite et j’ai à examiner les deux encoignures Louis XVI que nous avons reçues hier !
Ce ne fut pas sans émotion qu’Aldo se retrouva dans la pièce élégante et confortable où tant de fois il avait rejoint son vieil ami Gilles Vauxbrun qui, au retour de la guerre, avait guidé ses premiers pas, forcément hésitants, dans le domaine de la haute antiquité. Spécialiste des XVIIe et XVIIIe siècles, Vauxbrun n’acceptait chez lui que le meilleur et le plus authentique, ayant passé sa vie à traquer un peu partout dans le monde les merveilles arrachées aux palais français – et surtout à l’incomparable Versailles – par la tourmente révolutio
Il revit le long bureau Louis XV signé Riesener avec ses admirables bronzes de Thomire, les tapisseries de la Savo
Faisant preuve d’une infinie délicatesse, François-Gilles abando
— Tu ne regrettes pas trop la magistrature ?
— De moins en moins ! Je ne me suis jamais senti respirer aussi librement qu’ici ! Ce métier est de loin plus passio
— Qu’en dit ta mère ?
— Maman ? Elle est enchantée. Elle est venue habiter chez moi depuis quelque temps pour veiller aux plus petits détails afin que la maison ressuscite et redevie
— Croyez bien que c’est réciproque. Nous accepterons avec joie ! Mais à propos de co