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— Tu veilles vraiment sur moi mieux qu’une nounou, sourit Aldo. Mais rassure-toi, ça va. Dès que j’en sens le besoin, tu reprends le volant !
On repartit et le cauchemar continua pour traverser quelques-uns des plus beaux paysages de là Suisse sans autre perspective que le ruban sinueux de la route éclairée par les phares sur laquelle la pluie ne cessait de tomber. Ce ne fut qu’en arrivant sur Airolo et au lever du jour qu’elle consentit enfin à lâcher prise et le soleil était bien présent quand, enfin, on aperçut Lugano…
Grâce à Dieu la rituelle – et heureusement l’unique – crevaison de pneu avait consenti à attendre que le jour soit venu et que l’on eût atteint la douceur du Tessin !
Il était neuf heures et Marie-Angéline en était à sa troisième tasse de café quand la cloche de la grille agitée par une main vigoureuse se fit entendre. Plan-Crépin se précipita mais Wishbone qui, pour s’occuper, maniait au jardin un râteau négligent l’avait devancée pour ouvrir les deux battants de fer forgé devant la voiture couverte de boue qu’Adalbert conduisit d’emblée au garage. À demi étranglée par la joie, elle sauta au cou d’Aldo avec une telle impétuosité qu’elle faillit le jeter à terre en criant :
— Merci, Seigneur ! Vous m’avez exaucée et les voilà !
Ce qui précipita tout le monde sur le perron. Ce fut un moment d’émotion intense, même de la part d’Hubert cependant peu porté aux effusions et même chez Oscar Zehnder qui se tint à quatre pour ne pas embrasser lui aussi les arrivants. Lesquels le reco
— Sacrebleu, professeur, qu’est-ce que vous faites là ?
— On va vous expliquer ! coupa Mme de Sommières. Mais d’abord rentrons dans la maison ! Nous allons finir par ameuter tout le quartier !
On se retrouva dans la vaste cuisine où Marie-Angéline et Boleslas s’affairèrent à réconforter les voyageurs et à nantir les autres d’un supplément de petit déjeuner, cependant que la joie des retrouvailles cédait peu à peu la place à l’inquiétude sur les heures à venir.
— Si je comprends bien, après l’arrivée du professeur Zehnder, vous avez cessé de surveiller la villa ? fit observer Aldo.
— Vous avez mal compris, cousin ! Boleslas et moi, on a fini la nuit dans la tour. À mon âge, on ne fréquente plus beaucoup le bon sommeil de la jeunesse. Ce que je compense par une petite sieste. En revanche, cela me permet de bouquiner, d’écrire… Mais passons ! Nous avons donc veillé, avec Boleslas qui, lui, possède le précieux privilège de s’endormir quand il veut et où il veut !
— Hubert ! gronda Mme de Sommières, quand perdrez-vous cette manie de répondre par une conférence quand on vous pose une question ! Vous n’avez rien vu d’inquiétant, sinon vous l’auriez déjà dit !
— En revanche, vers quatre heures du matin, on a entendu les chiens aboyer comme s’ils n’avaient jamais été drogués. Une voix d’homme leur a imposé silence… et point final ! Qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
— Pourquoi pas ce que je me proposais si vous n’étiez pas arrivés, messieurs ? dit Zehnder. Aller à la police de Lugano et porter plainte pour enlèvement et mauvais traitements ? Je suis un compatriote, moi, et… quelqu’un d’un peu co
— Je ne crois pas qu’on en ait le temps ! dit Adalbert. Si nos deux assassins ne sont pas encore arrivés, ils ne vont pas tarder ! Si nous étions à Zurich ou à Berne ou à Genève, on se précipiterait chez les flics, mais ici on est plus italiens que suisses ! Et votre projet risque de déchaîner une série de palabres plus hasardeuses qu’efficaces ! Avec tout ça, vous êtes sûrs qu’aucune voiture ne s’est pointée à l’horizon depuis le lever du soleil ?
— Sûrs ! affirma Plan-Crépin. Le portier n’a pas bougé et il est improbable que Grindel ait les clefs !
— Bon ! Continuez à surveiller…
— Boleslas va retourner là-haut mais…
— Pas de mais ! On a assez perdu de temps ! Si les frères Grindel ne sont pas encore arrivés il faut en profiter ! Adalbert, do
— Qu’est-ce que tu veux en faire ? Nous allons au-devant d’eux ?
— Non, pas toi ! Et je ne vais pas au-devant d’eux, je vais prévenir les gens de la Malaspina ! À y réfléchir, c’est la seule conduite intelligente à tenir…
— Si c’est tellement brillant, pourquoi rien as-tu pas parlé plus tôt ? protesta Adalbert après un moment de silence suffoqué.
— Parce que je n’avais pas encore entendu le professeur Zehnder ! Vous avez dit que c’était un certain Max qui vous avait amené et qui dirige la maison ?
— En effet.
— Alors ça vaut la peine de tenter le coup ! C’est lui que je vais voir et prévenir de ce qui va leur tomber dessus ! Vous ne le savez peut-être pas tous, mais je lui dois la vie, ainsi que Wishbone d’ailleurs… et sans compter Lisa et Pauline Belmont. C’est lui qui nous a évité de griller dans l’incendie du château de la Croix-Haute ! Ce qui n’est pas ton cas, Adalbert ! C’est pourquoi je préfère que tu restes ici auprès de Tante Amélie et de Marie-Angéline…
— Et nous on ne compte pas ? protestèrent Hubert et Zehnder d’une seule voix.
— Bien sûr que si, mais sous ne serez pas de trop au cas où mon idée tournerait au fiasco ! Et vous pourrez même prévenir la police ! Adalbert, je t’en prie, n’insiste pas ! Tu n’as pas eu affaire à Max et je suis pleinement convaincu que ce n’est pas un mauvais type !…
— En revanche, moi je le co
— Je vous rejoins ! dit Aldo. N’oubliez pas dans votre enthousiasme de prendre une arme ! Ça peut être utile !
Le Texan qui se dirigeait déjà vers la porte s’arrêta, tira un colt de sa poche de pantalon, le présenta à plat sur sa main et sourit.
— Qu’est-ce que vous croyez ? Depuis qu’on est dans ce patelin, je suis toujours couvert ! Il ne faut pas me prendre pour un enfant de chœur !
— Rassurez-vous ! Cela ne me serait même pas venu à l’esprit !
Aldo, alors, se tourna vers Adalbert dont le visage fermé révélait clairement la colère rentrée.
— On ne va pas encore se brouiller ? Essaie de me comprendre !
— Quoi ? Après avoir couru cette aventure ensemble, tu me débarques au dernier moment ? Non, ça je ne comprendrai jamais.
— Et il a raison ! assena Marie-Angéline ! D’autant plus qu’avec les deux professeurs, Boleslas et votre servante, on est très capables de se débrouiller !
— … et que je me débrouille encore très bien avec un fusil de chasse et qu’il s’en trouve deux ou trois dans un placard, ajouta la marquise.
Aldo les regarda tous les trois avec une sorte de désespoir.
— C’est vous qui ne me comprenez pas. Si je demande à Adalbert de rester auprès de vous, c’est que… je ne suis pas certain de revenir et qu’alors il n’y a plus que lui, mon « plus que frère », à qui je puisse confier tout ce que j’aime, vous deux, Lisa qui se souviendrait peut-être qu’il fut un temps où elle m’aimait… et mes petits !
Et pour éviter de se ridiculiser à cause de cette envie de pleurer qui lui venait, il quitta la cuisine en courant pour aller rejoindre Wishbone installé au volant et qui, pour l’occasion, venait de recoiffer son feutre noir en auréole…
Ses dernières paroles avaient pétrifié ceux qu’il laissait derrière lui. Adalbert bougea enfin et vint prendre la main de la vieille dame qu’il garda fermement serrée dans la sie
— Comment se fait-il, murmura-t-il, que l’on s’entende si bien et que l’on se compre
Ce qui réveilla Plan-Crépin. Elle explosa littéralement :
— Si ce grand imbécile s’imagine qu’on va rester comme des cloches à se tourner les pouces, à marmotter des prières en reniflant dans nos mouchoirs, il se trompe lourdement ! Messieurs les professeurs, on vous confie notre marquise. Quant à nous, mon cher Adalbert, on va visiter le placard du vestibule, après quoi on ira camper sous les aristoloches afin de surveiller ce qui va se passer dans cette… foutue Malaspina… et voir quel accueil nos deux fous vont recevoir !