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Sa mine défaite et son attitude rigide frappèrent le religieux qui, doucement, secoua la bride du cheval.

— Ma fille ! Vous êtes souffrante ?

Sans bouger, les yeux toujours fixés à l'inquiétant emblème, Catherine demanda :

— Ce seigneur qui vous est arrivé... Quel est-il ?

— Un envoyé perso

— Un envoyé ? Vers qui ? En quel pays ?

— Comment voulez-vous que je le sache ? Sans doute vers le souverain de Castille, ou le roi d'Aragon, à moins qu'il ne s'agisse du roi de Navarre. Mais vous voilà bien nerveuse, ma fille ? Venez ! Le repos vous fera du bien.

Un peu rassurée, Catherine se décida à descendre de son cheval, au moment précis où Ermengarde et le reste de la troupe pénétraient en trombe dans la cour de l'hospice. La comtesse semblait fort mécontente. Très rouge, les lèvres pincées, les yeux fulgurants, elle interpella Catherine furieusement :

— Ah ! ça, ma mie, à quoi jouez-vous ? Voilà des heures que nous vous galopons derrière sans pouvoir vous rattraper!

— Je suis lasse de perdre du temps, Ermengarde ! rétorqua la jeune femme sèchement. Il y a sur votre route trop de gens avec qui vous trouvez plaisir à bavarder. J'ai craint de ne point parvenir, ce soir, dans cette sainte maison et j'ai pris les devants.

— Il me semble pourtant... commença la comtesse.

Mais les mots moururent sur ses lèvres tandis qu'un éclair s'allumait dans ses yeux gris. Elle venait, elle aussi, de reco

— On dirait que nous aurons de la compagnie, ici ? dit-elle avec un entrain qui n'échappa pas à Catherine. Des amis, sans doute !

Catherine eut un froid sourire.

— Des amis ? Je vous conseillerais plutôt, ma chère amie, de fuir et d'éviter le seigneur qui possède de telles armoiries. Oubliez-vous que vous êtes proscrite, en fort mauvais termes avec le duc Philippe ?

— Bah ! fit Ermengarde avec une belle insouciance. Nous voilà bien loin de Bruges et de Dijon. De plus, j'ai gardé quelques amis fidèles auprès de Monseigneur Philippe ! Enfin, vous le savez, je n'ai jamais été peureuse. J'aime affronter les choses en face !

Et, relevant le bas de sa robe de velours pourpre, montrant de longs pieds étroits chaussés de bottes solides, la dame de Châteauvillain se dirigea vers la porte sur laquelle l'officier se tenait toujours, regardant venir à lui cette imposante perso

— Dis-moi, l'ami, qui est ton maître ?

— Ambassadeur de Monseigneur le duc Philippe de Bourgogne, comte de Flandre, de...

— Fais-nous grâce des titres du duc, je les co



— Qui êtes-vous vous-même pour interroger de la sorte, dame ?

La colère n'eut pas le temps d'empourprer les joues, déjà d'un beau rouge sombre, de la comtesse. Une main étroite mais ferme venait d'écarter l'officier tandis qu'un homme jeune encore, vêtu avec une simplicité qui n'excluait pas une certaine élégance, de daim feuille-morte, apparaissait sur le seuil. Sa tête nue montrait de courts cheveux blonds fortement mélangés de gris. Le reflet du feu éclaira un visage étroit aux lèvres si minces qu'elles semblaient scellées. Un long nez droit les surmontait. Le regard glacial de deux yeux bleus, légèrement globuleux, enveloppa la douairière furieuse, mais, brusquement, leur expression changea : un sourire détendit l'e

— Ma chère comtesse ! J'avais craint de vous manquer et, déjà...

Un geste discret et autoritaire de la vieille dame lui coupa la parole, mais il était trop tard : non seulement Catherine avait entendu la phrase maladroite, mais elle avait vu le geste. Elle sortit de l'ombre, s'avança auprès de son amie.

— Et moi, Jean, dit-elle froidement, craigniez-vous aussi de me manquer ?

Le peintre Jean Van Eyck, valet de chambre du duc Philippe de Bourgogne et son ambassadeur secret dans bien des circonstances, ne se do

— Catherine !... C'est vous ! C'est bien vous ? Je ne rêve pas ?...

Il était si évidemment heureux que la jeune femme sentit fondre un peu sa méfiance. Ils avaient été de bons amis, au temps où elle régnait à la fois sur la cour de Bourgogne et sur le cœur de son duc. Plus d'une fois elle avait servi de modèle à ce grand artiste dont elle admirait passio

— C'est bien moi, mon ami... et j'ai grande joie de vous revoir !

Que faites-vous si loin de Bourgogne ? J'ai cru comprendre que vous aviez rendez-vous avec dame Ermengarde ?

Tout en parlant, elle jetait un coup d'œil du côté de son amie et la vit rougir légèrement. Mais Van Eyck ne parut pas autrement ému par ses questions.

— Rendez-vous est beaucoup dire ! Je savais que dame Ermengarde se rendait à Compostelle-de-Galice et, comme ma mission m'envoyait sur le même chemin, j'espérais bien faire route avec elle.

— Est-ce donc auprès de Monseigneur saint Jacques que vous envoie le duc ? fit Catherine avec une ironie qui n'échappa pas à l'artiste.

— Allons, fit-il avec un sourire, vous savez bien que mes missions sont toujours secrètes. Je n'ai pas le droit d'en parler. Mais rentrons, la nuit est complète et il fait frais au pied de ces montagnes !

De la soirée passée sous les vieilles voûtes de la salle commune où s'entassaient, depuis des siècles, des foules denses, animées par la foi, Catherine devait garder un curieux sentiment d'irréalité et d'insécurité tout à la fois. Assise à la grande table entre Ermengarde et Jean, elle les écouta parler sans trop se mêler à la conversation. Comment l'aurait-elle pu ? Les affaires de Bourgogne dont ils discutaient lui étaient devenues à ce point étrangères qu'elle n'y trouvait plus la moindre trace d'intérêt. Même l'héritier ducal, ce jeune Charles, comte de Charolais, que la duchesse Isabelle avait mis au monde quelques mois plus tôt et qui soulevait la passion des deux Bourguignons, ne parvenait pas à secouer son indifférence. Il s'agissait là d'un monde mort pour elle à tout jamais.

Mais, si elle ne prêtait que peu d'attention à leurs propos, elle n'en observait pas moins, avec une attention aiguë, ses deux compagnons.

Tout à l'heure, quand elle avait quitté la cellule qu'on lui avait octroyée pour se rendre dans la grande salle, elle avait trouvé Josse qui l'attendait, immobile dans l'obscurité presque totale du cloître. Elle avait sursauté en le voyant surgir de l'ombre, mais il avait aussitôt mis un doigt sur ses lèvres. Puis il avait chuchoté :

— Ce seigneur venu de Bourgogne... c'est lui qu'attendait la noble dame !