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pourquoi je n'ai pas craint de venir jusqu'ici.
On ne doit avoir peur, si ce n'est des objets
qui pourraient engendrer le malheur du prochain:
pour le reste, aucun mal n'est digne qu'on le craigne.
Or, la bonté de Dieu m'a faite en telle sorte
que rien ne m'éclabousse au sein de vos misères,
et je suis à l'abri du feu de vos brasiers.
Une dame bien noble, au ciel [26], s'est attendrie
aux peines de celui vers qui je t'ai mandé,
et radoucit là-haut la sévère sentence.
Elle a fait appeler auprès d'elle Lucie [27],
pour lui dire: «Tu vois ton serviteur, là-bas!
Il a besoin de toi, je te le recommande!»
Et Lucie à son tour, de tout mal e
est venue à l'endroit où j'avais pris moi-même
une place aux côtés de l'antique Rachel.
«Béatrice, dit-elle, éloge vrai de Dieu,
pourquoi n'aides-tu pas celui qui t'aimait tant,
qu'il est sorti, pour toi, du vulgaire troupeau?
Comment n'entends-tu pas sa peine et sa détresse?
Ne vois-tu pas assez que la mort le poursuit
sur ce fleuve aux remous plus affreux que la mer?»
Et l'on n'a jamais vu d'autre perso
qui courût à son bien, s'éloignant de sa perte,
plus vite que moi-même, au son de ces paroles.
Je descendis ici, de l'heureuse demeure;
et je fais confiance à ton langage ho
qui t'honore aussi bien que ceux qui l'ont suivi.»
Puis, après avoir mis un terme à son discours,
elle voulut cacher ses yeux mouillés de larmes
et ne fit qu'augmenter ma hâte d'obéir.
Je suis venu vers toi, comme elle me l'a dit,
et je t'ai délivré de la bête qui garde
le chemin le plus court de la belle montagne.
Que te faut-il encore? et pourquoi t'arrêter?
Pourquoi de lâcheté nourrir toujours ton cœur?
Et pourquoi n'es-tu pas confiant et hardi,
si tu sais que là-haut, ces trois si saintes femmes
au tribunal du ciel intercèdent pour toi
et qu'ici mon récit te promet tant de bien?»
Comme les fleurs des champs, que la fraîcheur nocturne
penche à terre et flétrit, dressent soudain la tête
quand le soleil les dore, et s'ouvrent aux rayons,
tel je repris alors mes forces presque éteintes
et sentis revenir mon courage, si bien
que je lui dis, rempli d'une belle assurance:
«Combien celle qui m'aime est bo
Combien tu fus courtois, toi qui courus si vite
pour obéir aux lois qu'elle t'avait dictées!
Tu réveilles en moi, par tes bo
un si puissant désir de partir avec toi,
que je reviens de suite à mon premier dessein.
Partons donc: nous voulons, les deux, la même chose.
Toi, tu seras le chef et le guide et le maître.»
Et sur ce, reprenant la marche interrompue,
j'entrai dans le pénible et sauvage chemin.
CHANT III
«Par moi, vous pénétrez dans la cité des peines;
par moi, vous pénétrez dans la douleur sans fin;
par moi, vous pénétrez parmi la gent perdue.
La justice guidait la main de mon auteur [28];
le pouvoir souverain m'a fait venir au monde,
la suprême sagesse et le premier amour [29].
Nul autre objet créé n'existait avant moi,
à part les éternels [30]; et je suis éternelle [31].
Vous, qui devez entrer, abando
Je vis ces mots, tracés d'une couleur obscure,
écrits sur le fronton d'une porte, et je dis:
«Maître, leur sens paraît terrible et difficile.»
Il répondit alors comme doit faire un sage:
«Il te faut maintenant oublier tous les doutes,
car ce n'est pas ici qu'un lâche peut entrer.
Nous sommes arrivés à l'endroit où j'ai dit
que tu rencontreras des hommes dont la peine
est de perdre à jamais le bien de l'intellect.» [32]
Ensuite il vint me prendre une main dans les sie
et me rendit courage avec un doux sourire,
me faisant pénétrer au sein de ce mystère.
Là, des pleurs, des soupirs, des lamentations
réso
si bien qu'avant d'entrer j'en eus le cœur serré.
Des langages confus et des discours horribles,
les mots de la douleur, l'accent de la colère,
les complaintes, les cris, les claquements des mains
y font une clameur qui sans cesse tournoie
au sein de cette nuit à tout jamais obscure,
pareille aux tourbillons des tourmentes de sable.
Et moi, de qui l'horreur ceignait déjà les tempes:
«Ô maître, dis-je alors, qu'est-ce que l'on entend?
Qui sont ces gens, plongés si fort dans la douleur?»
«C'est là, répondit-il, la triste destinée
qui guette les esprits de tous les malheureux
dont la vie a coulé sans blâme et sans louange. [33]
Ils demeurent ici, mêlés au chœur mauvais
des anges qui, jadis, ne furent ni rebelles
ni fidèles à Dieu, mais n'aimèrent qu'eux-mêmes.
Le Ciel n'a pas admis d'en ternir sa beauté,
et l'Enfer à son tour leur refuse l'entrée,
car les autres damnés s'en feraient une gloire.»
«Maître, repris-je encor, quelle raison les fait
se lamenter si fort et geindre ainsi sans cesse?»
«Je te l'expliquerai, dit-il, en peu de mots.
Ceux-ci ne peuvent plus attendre une autre mort;
et leur vile existence est à ce point abjecte,
qu'ils auraient mieux aimé n'importe quel destin.
Le monde ne veut pas garder leur souvenir,
la Pitié les dédaigne, ainsi que la Justice.
C'est assez parlé d'eux: jette un regard et passe!»
En arrivant plus près, je vis une ba
qui tournait tout en rond, et qui courait si vite
qu'elle semblait haïr tout espoir de repos.
Derrière elle venait une si longue file
de coureurs83, que je n'eusse imaginé jamais
que la mort en pouvait faucher un si grand nombre.
Je reco
les ayant observés, et l'ombre de celui
qui fit par lâcheté le grand renoncement [34].