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«Il me semble, Lano, qu'au combat de Toppo
tes pieds n'ont pas été plus légers qu'aujourd'hui!»
Et, sentant que le souffle allait lui défaillir,
il voulut se tapir à l'ombre d'un buisson.
Je vis que derrière eux, partout, des chie
remplissaient la forêt et couraient affamées,
pareilles aux lévriers délivrés de leur laisse;
et tombant sur celui qui s'était aplati,
mordant à belles dents, elles le dépecèrent
et s'en furent traînant ses membres lacérés.
Alors mon compagnon me prit par une main,
me conduisant au pied du buisson, dont les plaies
saignaient par les rameaux, et qui pleurait en vain:
«Jacques de Saint-André, dit-il en sanglotant,
à quoi te servit-il de chercher mon abri?
et quelle était ma part dans ta coupable vie?»
Mon maître, s'arrêtant à quelques pas de lui,
lui dit: «Qui donc es-tu, toi, qui par tes blessures
répands avec ton sang de si tristes discours?»
Le buisson répondit: «Âmes, vous arrivez
à temps pour contempler l'outrage immérité
qui fait se détacher mes feuilles de mon tronc.
Ramassez-les au pied de cette triste souche!
Je naquis dans la ville où l'on aimait Baptiste
mieux que l'ancien patron [128], qui s'en est bien vengé
en l'affligeant, depuis, des suites de son art;
et s'ils n'avaient pas eu sur le pont de l'Arno
un certain monument qui rappelle son nom,
les citoyens qui l'ont autrefois rebâtie
sur les débris fumants qu'y laissait Attila,
se seraient vainement fatigués au travail [129].
Et quant à moi, j'ai fait de ma maison gibet.» [130]
CHANT XIV
Le commun souvenir de notre lieu natal
fit que je ramassai les branches détachées
et les rendis au tronc qui venait de se taire.
Nous passâmes ensuite aux confins où débouche
le deuxième giron, pour entrer au troisième,
où s'offrait aux regards une affreuse justice.
Pour dire clairement des choses aussi neuves,
je dis que nous étions dans un désert de sable
dont le sol ne portait aucun brin de verdure [131].
La forêt des douleurs l'entourait de partout,
tout comme le fossé contournait la forêt;
et nous, nous fîmes halte au bord de ce désert.
Le sol en était fait d'un sable épais et sec,
tout à fait ressemblant à l'autre, qui jadis
avait été foulé par les pieds de Caton.
Ô vengeance de Dieu, combien tu dois paraître
redoutable au lecteur qui peut imaginer
ce que j'ai vu là-bas avec mes propres yeux!
Je vis de grands troupeaux d'esprits tout à fait nus,
qui se lamentaient tous bien misérablement
et paraissaient soumis à des lois différentes.
Certains de ces esprits gisaient couchés par terre,
d'autres restaient assis, ramassés sur eux-mêmes,
et puis d'autres encor ne cessaient de marcher.
Ceux qui rôdaient ainsi formaient le plus grand nombre;
et quoique les couchés fussent les moins nombreux,
leurs lamentations paraissaient les plus fortes.
Sur cette mer de sable il pleuvait lentement
de grands flocons de feu qui tombaient sans arrêt,
comme les jours sans vent il neige à la montagne.
Et tout comme Alexandre au chaud pays des Indes
vit tomber sur ses gens les flammes par ondées
qui ne s'éteignaient pas, même en touchant la terre,
et se vit obligé de les faire fouler
aux pieds de ses soldats, pour mieux les étouffer
et éviter qu'en naisse un océan de feu [132],
telle descend là-bas cette ardeur éternelle
où s'allume le sable comme au briquet la mèche,
et qui fait redoubler leurs cuisantes douleurs.
Et l'on voyait toujours les misérables mains
se mettre en mouvement, pour écarter du corps
les brûlures nouvelles qui pleuvaient de partout.
Je ne pus m'empêcher de demander: «Ô maître,
toi qui vaincs tout au monde, hormis les durs démons
qui vinrent devant nous pour nous fermer la porte,
qui donc est celui-ci, qui si peu se soucie
du feu, qu'il reste là, dédaigneux et tordu,
si bien que l'on dirait qu'il ne sent même pas?»
Cependant cet esprit semblait avoir compris
que c'était bien de lui que je parlais au guide,
car il dit: «Je suis mort tel que j'étais vivant.
Que Jupiter harasse encor son forgeron
à qui, dans sa colère, il prit la foudre aiguë
qui vint me transpercer au dernier de mes jours;
et que, l'un après l'autre, il épuise à la tâche,
au fond de Mongibel, la troupe des cyclopes,
en criant: «Bon Vulcain, j'attends ton coup de main!
ainsi qu'il fit jadis, au combat de Phlégra [133],
ou qu'il me frappe encor de ses coups les plus durs:
il ne trouvera pas de joie à se venger!»
Lors mon guide lui dit, avec tant de colère
que je ne l'avais vu jamais si courroucé:
«Te voilà plus puni que d'autres, Capanée [134],
du fait de ton orgueil qui ne veut pas céder.
Pour une rage égale à celle qui te ronge,
la peine la plus dure est la rage elle-même.»
Puis, se tournant vers moi: «Celui-ci, me dit-il
avec plus de douceur, est l'un de ces sept rois
qui luttaient contre Thèbes; il eut et garde encore
un grand mépris de Dieu, dont il ne fait que rire;
mais, comme je l'ai dit, sa colère elle-même
est l'ornement qui sied le mieux sur sa poitrine.
Mais suis-moi maintenant; et surtout garde-toi
de toucher de ton pied le sable incandescent,
mais tâche de rester en bordure du bois.»
Nous vînmes, en marchant en silence, à l'endroit
d'où sourd de la forêt un modeste ruisseau
dont la couleur de sang me fait frémir encore.
Comme la nappe d'eau qui sort du Bulicame
et dont tirent profit toutes les pécheresses [135],
ce ruisseau se creusait un lit parmi les sables;
et le fond de ce lit, avec les deux versants
ainsi que ses deux bords, étaient construits en pierre: