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Cinq mois environ après son mariage, Thérèse eut une épouvante. Elle acquit la certitude qu’elle était enceinte. La pensée d’avoir un enfant de Laurent lui paraissait monstrueuse, sans qu’elle s’expliquât pourquoi. Elle avait vaguement peur d’accoucher d’un noyé. Il lui semblait sentir dans ses entrailles le froid d’un cadavre dissous et amolli. À tout prix, elle voulut débarrasser son sein de cet enfant qui la glaçait et qu’elle ne pouvait porter davantage. Elle ne dit rien à son mari, et, un jour, après l’avoir cruellement provoqué, comme il levait le pied contre elle, elle présenta le ventre. Elle se laissa frapper ainsi à en mourir. Le lendemain, elle faisait une fausse couche.

De son côté, Laurent menait une existence affreuse. Les journées lui semblaient d’une longueur insupportable; chacune d’elles ramenait les mêmes angoisses, les mêmes e

L’après-midi, il se questio

Parfois Laurent songeait qu’il avait tué Camille pour ne rien faire ensuite, et il était tout éto

À la vérité, il ne goûtait quelque soulagement que lorsqu’il battait Thérèse, le soir. Cela le faisait sortir de sa douleur engourdie.



Sa souffrance la plus aiguë, souffrance physique et morale, lui venait de la morsure que Camille lui avait faite au cou. À certains moments, il s’imagina que cette cicatrice lui couvrait tout le corps. S’il venait à oublier le passé, une piqûre ardente, qu’il croyait ressentir, rappelait le meurtre à sa chair et à son esprit. Il ne pouvait se mettre devant un miroir, sans voir s’accomplir le phénomène qu’il avait si souvent remarqué et qui l’épouvantait toujours: sous l’émotion qu’il éprouvait, le sang montait à son cou, empourprait la plaie, qui se mettait à lui ronger la peau. Cette sorte de blessure vivant sur lui, se réveillant, rougissant et le mordant au moindre trouble, l’effrayait et le torturait. Il finissait par croire que les dents du noyé avaient enfoncé là une bête qui le dévorait. Le morceau de son cou où se trouvait la cicatrice ne lui semblait plus appartenir à son corps; c’était comme de la chair étrangère qu’on aurait collée en cet endroit, comme une viande empoiso

Il avait bien des fois été tenté, lorsqu’il se rasait, de s’entamer le cou, pour faire disparaître les marques des dents du noyé. Devant le miroir, quand il levait le menton et qu’il apercevait la tache rouge, sous la mousse blanche du savon, il lui prenait des rages soudaines, il approchait vivement le rasoir, près de couper en pleine chair. Mais le froid du rasoir sur sa peau le rappelait toujours à lui; il avait une défaillance, il était obligé de s’asseoir et d’attendre que sa lâcheté rassurée lui permît d’achever de se faire la barbe.

Il ne sortait, le soir, de son engourdissement que pour entrer dans des colères aveugles et puériles. Lorsqu’il était las de se quereller avec Thérèse et de la battre, il do

Un soir enfin, François regarda si fixement Laurent, que celui-ci, au comble de l’irritation, décida qu’il fallait en finir. Il ouvrit toute grande la fenêtre de la salle à manger, et vint prendre le chat par la peau du cou. Mme Raquin comprit; deux grosses larmes coulèrent sur ses joues. Le chat se mit à jurer, à se roidir, en tâchant de se retourner pour mordre la main de Laurent. Mais celui-ci tint bon; il lui fit faire deux ou trois tours, puis l’envoya de toute la force de son bras contre la grande muraille noire d’en face. François s’y aplatit, s’y cassa les reins, et retomba sur le vitrage du passage. Pendant toute la nuit, la misérable bête se traîna le long de la gouttière, l’échine brisée, en poussant des miaulements rauques. Cette nuit-là, Mme Raquin pleura François presque autant qu’elle avait pleuré Camille; Thérèse eut une atroce crise de nerfs. Les plaintes du chat étaient sinistres, dans l’ombre, sous les fenêtres.