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Émile Zola

Germinal

Première partie

I

Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d’une obscurité et d’une épaisseur d’encre, un homme suivait seul la grande route de Marchie

L’homme était parti de Marchie

Un chemin creux s’enfonçait. Tout disparut. L’homme avait à droite une palissade, quelque mur de grosses planches fermant une voie ferrée; tandis qu’un talus d’herbe s’élevait à gauche, surmonté de pignons confus, d’une vision de village aux toitures basses et uniformes. Il fit environ deux cents pas. Brusquement, à un coude du chemin, les feux reparurent près de lui, sans qu’il comprit davantage comment ils brûlaient si haut dans le ciel mort, pareils à des lunes fumeuses. Mais, au ras du sol, un autre spectacle venait de l’arrêter. C’était une masse lourde, un tas écrasé de constructions, d’où se dressait la silhouette d’une cheminée d’usine; de rares lueurs sortaient des fenêtres encrassées, cinq ou six lanternes tristes étaient pendues dehors, à des charpentes dont les bois noircis alignaient vaguement des profils de tréteaux gigantesques; et, de cette apparition fantastique, noyée de nuit et de fumée, une seule voix montait, la respiration grosse et longue d’un échappement de vapeur, qu’on ne voyait point.

Alors, l’homme reco

– Bonjour, dit-il en s’approchant d’une des corbeilles.

Tournant le dos au brasier, le charretier était debout, un vieillard vêtu d’un tricot de laine violette, coiffé d’une casquette en poil de lapin; pendant que son cheval, un gros cheval jaune, attendait, dans une immobilité de pierre, qu’on eût vidé les six berlines montées par lui. Le manœuvre employé au culbuteur, un gaillard roux et efflanqué, ne se pressait guère, pesait sur le levier d’une main endormie. Et, là-haut, le vent redoublait, une bise glaciale, dont les grandes haleines régulières passaient comme des coups de faux.

– Bonjour, répondit le vieux.

Un silence se fit. L’homme, qui se sentait regardé d’un œil méfiant, dit son nom tout de suite.

– Je me nomme Etie

Les flammes l’éclairaient, il devait avoir vingt et un ans, très brun, joli homme, l’air fort malgré ses membres menus.

Rassuré, le charretier hochait la tête.

– Du travail pour un machineur, non, non… Il s’en est encore présenté deux hier. Il n’y a rien.



Une rafale leur coupa la parole. Puis, Etie

– C’est une fosse, n’est-ce pas?

Le vieux, cette fois, ne put répondre. Un violent accès de toux l’étranglait. Enfin, il cracha, et son crachat, sur le sol empourpré, laissa une tache noire.

– Oui, une fosse, le Voreux… Tenez! le coron est tout près.

A son tour, de son bras tendu, il désignait dans la nuit le village dont le jeune homme avait deviné les toitures. Mais les six berlines étaient vides, il les suivit sans un claquement de fouet, les jambes raidies par des rhumatismes; tandis que le gros cheval jaune repartait tout seul, tirait pesamment entre les rails, sous une nouvelle bourrasque, qui lui hérissait le poil.

Le Voreux, à présent, sortait du rêve. Etie

Le manœuvre du culbuteur, gonflant le dos, n’avait pas même levé les yeux sur Etie

– Il y a des fabriques à Montsou? demanda le jeune homme.

Le vieux cracha noir, puis répondit dans le vent:

– Oh! ce ne sont pas les fabriques qui manquent. Fallait voir ça, il y a trois ou quatre ans! Tout ronflait, on ne pouvait trouver des hommes, jamais on n’avait tant gagné… Et voilà qu’on se remet à se serrer le ventre. Une vraie pitié dans le pays, on renvoie le monde, les ateliers ferment les uns après les autres… Ce n’est peut-être pas la faute de l’empereur; mais pourquoi va-t-il se battre en Amérique? Sans compter que les bêtes meurent du choléra, comme les gens.