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Le baron hocha de nouveau la tête. Lui, qui avait accueilli les combinaisons les plus hardies, et dont on citait encore les témérités, lors des premiers essais de l'éclairage au gaz, restait inquiet et têtu.

– J'entends bien, répondit-il. Vous vendez bon marché pour vendre beaucoup, et vous vendez beaucoup pour vendre bon marché… Seulement, il faut vendre, et j'en reviens à ma question: à qui vendrez-vous? comment espérez-vous entretenir une vente aussi colossale?

Un éclat brusque de voix, venu du salon, coupa les explications de Mouret. C'était Mme Guibal qui aurait préféré les volants de vieil Alençon en tablier seulement.

– Mais, ma chère, disait Mme de Boves, le tablier en était couvert aussi. Jamais je n'ai rien vu de plus riche.

– Tiens! vous me do

Et les voix tombèrent, ne furent plus qu'un murmure. Des chiffres so

– Eh! dit enfin Mouret, quand il put parler, on vend ce qu'on veut, lorsqu'on sait vendre! Notre triomphe est là.

Alors, avec sa verve provençale, en phrases chaudes qui évoquaient les images, il montra le nouveau commerce à l'œuvre. Ce fut d'abord la puissance décuplée de l'entassement, toutes les marchandises accumulées sur un point, se soutenant et se poussant; jamais de chômage; toujours l'article de la saison était là; et, de comptoir en comptoir, la cliente se trouvait prise, achetait ici l'étoffe, plus loin le fil, ailleurs le manteau, s'habillait, puis tombait dans des rencontres imprévues, cédait au besoin de l'inutile et du joli. Ensuite, il célébra la marque en chiffres co

– J'ai la femme, je me fiche du reste! dit-il dans un aveu brutal, que la passion lui arracha.

À ce cri, le baron Hartma

– Chut! murmura-t-il paternellement, elles vont vous entendre.

Mais ces dames parlaient maintenant toutes à la fois, tellement excitées, qu'elles ne s'écoutaient même plus entre elles. Mme de Boves achevait la description de la toilette de soirée: une tunique de soie mauve, drapée et retenue par des nœuds de dentelle; le corsage décolleté très bas, et encore des nœuds de dentelle aux épaules.

– Vous verrez, disait-elle, je me fais faire un corsage pareil avec un satin…

– Moi, interrompait Mme Bourdelais, j'ai voulu du velours, oh! une occasion!



Mme Marty demandait:

– Hein? combien la soie?

Puis, toutes les voix repartirent ensemble. Mme Guibal, Henriette, Blanche, mesuraient, coupaient, gâchaient. C'était un saccage d'étoffes, la mise au pillage des magasins, un appétit de luxe qui se répandait en toilettes jalousées et rêvées, un bonheur tel à être dans le chiffon, qu'elles y vivaient enfoncées, ainsi que dans l'air tiède nécessaire à leur existence.

Mouret, cependant, avait jeté un coup d'œil vers le salon. Et, en quelques phrases dites à l'oreille du baron Hartma

– Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d'un rire hardi, vous vendrez le monde!

Maintenant, le baron comprenait. Quelques phrases avaient suffi, il devinait le reste, et une exploitation si galante l'échauffait, remuait en lui son passé de viveur. Il clignait les yeux d'un air d'intelligence, il finissait par admirer l'inventeur de cette mécanique à manger les femmes. C'était très fort. Il eut le mot de Bourdoncle, un mot que lui souffla sa vieille expérience.

– Vous savez qu'elles se rattraperont.

Mais Mouret haussa les épaules, dans un mouvement d'écrasant dédain. Toutes lui appartenaient, étaient sa chose, et il n'était à aucune. Quand il aurait tiré d'elles sa fortune et son plaisir, il les jetterait en tas à la borne, pour ceux qui pourraient encore y trouver leur vie. C'était un dédain raiso

– Eh bien! cher monsieur, demanda-t-il pour conclure, voulez-vous être avec moi? L'affaire des terrains vous semble-t-elle possible?

Le baron, à demi conquis, hésitait pourtant à s'engager de la sorte. Un doute restait au fond du charme qui opérait peu à peu sur lui. Il allait répondre d'une façon évasive, lorsqu'un appel pressant de ces dames lui évita cette peine. Des voix répétaient, au milieu de légers rires:

– Monsieur Mouret! monsieur Mouret!