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– Mais pourquoi, monsieur?
– Veuillez me suivre, madame, répéta l'inspecteur, sans élever le ton.
Le visage ivre d'angoisse, elle jeta un rapide coup d'œil autour d'elle. Puis, elle se résigna, elle reprit son allure hautaine, marchant près de lui comme une reine qui daigne se confier aux bons soins d'un aide de camp. Pas une des clientes entassées là, ne s'était même aperçue de la scène. Deloche, revenu devant le comptoir avec les berthes, la regardait emmener, bouche béante: comment? celle-là aussi! cette dame si noble! c'était à les fouiller toutes! Et Blanche, qu'on laissait libre, suivait de loin sa mère, s'attardait au milieu de la houle des épaules, livide, partagée entre le devoir de ne pas l'abando
Justement, Bourdoncle, dont Mouret venait de se débarrasser, était là. D'habitude, il prononçait sur ces sortes de vols, commis par des perso
– Madame, nous excusons ces moments de faiblesse… Je vous en prie, considérez où un pareil oubli de vous-même pourrait vous conduire. Si quelque autre perso
Mais elle l'interrompit avec indignation. Elle, une voleuse! pour qui la prenait-il? Elle était la comtesse de Boves, son mari, inspecteur général des haras, allait à la Cour.
– Je sais, je sais, madame, répétait paisiblement Bourdoncle, J'ai l'ho
Elle se récria de nouveau, elle ne lui laissait plus dire une parole, belle de violence, osant jusqu'aux larmes de la grande dame outragée. Tout autre que lui, ébranlé, aurait craint quelque méprise déplorable, car elle le menaçait de s'adresser aux tribunaux, pour venger une telle injure.
– Prenez garde, monsieur! mon mari ira jusqu'au ministre.
– Allons, vous n'êtes pas plus raiso
Elle ne broncha pas encore, elle dit avec son assurance superbe:
– C'est ça, fouillez-moi… Mais, je vous en avertis, vous risquez votre maison.
Jouve alla chercher deux vendeuses des corsets. Quand il revint, il avertit Bourdoncle que la demoiselle de cette dame, laissée libre, n'avait pas quitté la porte, et il demandait s'il fallait l'empoigner, elle aussi, bien qu'il ne l'eût rien vue prendre. L'intéressé, toujours correct, décida, au nom de la morale, qu'on ne la ferait pas entrer, pour ne point forcer une mère à rougir devant sa fille. Cependant, les deux hommes se retirèrent dans une pièce voisine, tandis que les vendeuses fouillaient la comtesse et lui ôtaient même sa robe, afin de visiter sa gorge et ses hanches. Outre les volants de point d'Alençon, douze mètres à mille francs, cachés au fond d'une manche, elles trouvèrent, dans la gorge, aplatis et chauds, un mouchoir, un éventail, une cravate, en tout pour quatorze mille francs de dentelles environ. Depuis un an, Mme de Boves volait ainsi, ravagée d'un besoin furieux, irrésistible. Les crises empiraient, grandissaient, jusqu'à être une volupté nécessaire à son existence, emportant tous les raiso
– C'est un guet-apens! cria-t-elle, lorsque Bourdoncle et Jouve rentrèrent. On a glissé ces dentelles sur moi, oh! devant Dieu, je le jure!
À présent, elle pleurait des larmes de rage, tombée sur une chaise, suffoquant dans sa robe mal rattachée. L'intéressé renvoya les vendeuses. Puis, il reprit de son air tranquille:
– Nous voulons bien, madame, étouffer cette fâcheuse affaire, par égard pour votre famille. Mais, auparavant, vous allez signer un papier ainsi conçu: «J'ai volé des dentelles au Bonheur des Dames», et le détail des dentelles, et la date du jour… Du reste, je vous rendrai ce papier, dès que vous m'apporterez deux mille francs pour les pauvres.
Elle s'était relevée, elle déclara dans une révolte nouvelle.
– Jamais je ne signerai cela, j'aime mieux mourir.
– Vous ne mourrez pas, madame. Seulement, je vous préviens que je vais envoyer chercher le commissaire de police.
Alors, il y eut une scène affreuse. Elle l'injuriait, elle bégayait que c'était lâche à des hommes de torturer ainsi une femme. Sa beauté de Junon, son grand corps majestueux se fondait dans une fureur de poissarde. Puis, elle voulut essayer de l'attendrissement, elle les suppliait au nom de leurs mères, elle parlait de se traîner à leurs pieds. Et, comme ils restaient froids, bronzés par l'habitude, elle s'assit tout d'un coup, écrivit d'une main tremblante. La plume crachait; les mots: J'ai volé, appuyés rageusement, faillirent crever le papier mince, tandis qu'elle répétait, la voix étranglée:
– Voilà, monsieur, voilà monsieur… Je cède à la force…
Bourdoncle prit le papier, le plia soigneusement, l'enferma devant elle dans un tiroir, en disant:
– Vous voyez qu'il est en compagnie, car ces dames, après avoir parlé de mourir plutôt que de les signer, négligent généralement de venir reprendre leurs billets doux… Enfin, je le tiens à votre disposition. Vous jugerez s'il vaut deux mille francs.
Elle achevait de rattacher sa robe, elle retrouvait toute son arrogance, maintenant qu'elle avait payé.
– Je puis sortir? demanda-t-elle d'un ton bref.
Déjà Bourdoncle s'occupait d'autre chose. Sur le rapport de Jouve, il décidait le renvoi de Deloche: ce vendeur était stupide, il se laissait continuellement voler, jamais il n'aurait d'autorité sur les clientes. Mme de Boves répéta sa question, et comme ils la congédiaient d'un signe affirmatif, elle les enveloppa tous deux d'un regard d'assassin. Dans le flot de gros mots qu'elle renfonçait, un cri de mélodrame lui vint aux lèvres.
– Misérables! dit-elle en faisant claquer la porte.
Cependant, Blanche ne s'était pas éloignée du cabinet. Son ignorance de ce qui se passait là-dedans, les allées et venues de Jouve et des deux vendeuses, la bouleversaient, évoquaient les gendarmes, la cour d'assises, la prison. Mais elle restait béante: Vallagnosc était devant elle, ce mari d'un mois dont le tutoiement la gênait encore; et il la questio