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– Hein? Oui, oui je t'écoute chérie, avait marmo

– Je veux que ma fille ait ce qu'il y a de meilleur… La voix de sa mère s'était durcie, intraitable. Mes parents ont été incapables de gérer correctement mon éducation… Ils m'ont fait suivre les cursus classiques, dans des établissements publics… pouah! Alors qu'ils avaient largement de quoi me payer la meilleure école internationale de filles de Zurich… ce qui m'aurait permis de rencontrer des fils de banquiers, d'émirs, de pétroliers texans et de lords brita

Alice trembla à l'idée de devoir affronter une de ces écoles suisses haut de gamme où elle apprendrait à mettre le couvert, à placer les nonces apostoliques et les verres de Baccarat, à confectio

Cela faisait un an déjà, à cette époque, que sa mère lui payait les cours de violon que dispensait Mme Yaacov, une vieille émigrée russe, qui était sortie première du conservatoire de Moscou, avait officié comme premier violon au Symphonique de Leningrad sous la direction de Chostakovitch (références que sa mère ne saisissait évidemment pas, se contentant d'énoncer stupidement «bien sûr, bien sûr»). Pour sa mère, ce qui comptait c'était qu'il fût très chic, dans la haute société europée

– Dis-moi, Eva, Yaacov, ça serait pas un peu juif des fois… Et puis m'a l'air un peu tapée la vieille, qu'est-ce qu'elle a bien pu vouloir dire avec son histoire de siège?

Alice avait fixé sa mère qui faisait semblant de ne pas entendre et s'absorbait dans un magazine à sensation à grand tirage en grignotant son jambon de Parme.

Alice avait alors vu Wilheim qui plongeait son regard vide dans son assiette et elle avait froidement laissé tomber.

– Ce qu'elle voulait dire, c'est le siège de Leningrad. Entre 1941 et 1943. Leningrad a été coupé du monde par les nazis et toute la ville mourait de famine… Mais tous les jours l'orchestre jouait à la radio.

Wilheim avait sursauté et regardé Alice avec une lueur indicible, presque apeurée, au fond des yeux. Alice pouvait sentir le regard de sa mère qui la fixait, abasourdie, de l'autre côté de la table.

Le jeune Autrichien fit semblant de regarder les images de l'énorme et luxueux poste de télévision qui trônait à l'autre bout de la pièce miroitante.

Alice reposa doucement sa cuillère et sans presque desserrer les lèvres assena le coup de grâce:

– À cause du ratio

Alice savait que Wilheim ignorait sans doute le sens exact du mot andante. Même l'explication de l'énigme lui resterait opaque, lui prouvant sa nullité, ce que Wilheim détestait.

– Mein Gott, marmo

– Silence. Je te prierais de me laisser dorénavant régler seule les problèmes d'éducation de ma fille. C'est moi qui décide, vu?

Wilheim se renfrogna et se rendit sans même livrer bataille.

Un autre jour, quelques semaines après la conversation qu'elle avait surprise dans l'obscurité de l'escalier, Alice entendit M.Koesler do

Ce jour-là les cours de gymnastique de l'après-midi avaient été a

Les cuisiniers tamouls n'étaient pas encore là et c'était le jour de sortie de Mlle Chatarjampa. Alice alla doucement ouvrir la porte de sa chambre et écouta le silence dela maison, perturbé par le bruit des pas de M. Koesler au rez-de-chaussée. Elle se glissa dans le couloir et; frisso

Elle sursauta lorsqu'elle l'entendit venir de la cuisine et se saisir du téléphone du vestibule, juste en bas de la volée de marches.

Elle l'entendit composer un numéro puis, d'unt voix engluée par un morceau de nourriture quelconque, un truc qu'il avait dû prendre dans la cuisine, il demanda à parler à Joha

Il y eut une pause puis:

– Joha

Koesler avait aussitôt repris, interrompant à coup sûr son interlocuteur:

– Je m'en fous. Il faut que tu te démerdes, Joha

Alice n'avait pas du tout aimé le ton de sa voix. Elle remercia la providence qui faisait que cet assistant grossier ne vivait pas dans la maison mais dans un appartement, pas très loin, cependant.

Les corps, se demanda-elle des jours entiers, que les corps disparaissent, qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire?

Le lendemain ou le surlendemain, elle avait surpris une autre conversation entre sa mère et Wilheim, dans le deuxième salon, celui du flipper et du billard américain, où ils s'isolaient parfois. Alice passait devant la porte entrouverte lorsqu'elle s'était arrêtée en reco



– Je crois que ma fille n'a pas tout à fait tort quand elle pense que tu es complètement inculte, et grossier. Tu ne te rends même pas compte du fantastique développement psychique que cela procure… Le transfert d'énergie. Wilheim, le transfert d'énergie, je suis sûre que tu ne t'en rends même pas compte… Toi tu ne vois que l'aspect financier, c'est ce qui nous différenciera toujours, Wilheim, l'abîme entre l'aristocratie et une nouvelle couche de bourgeoisie juste arrivée…

– Oh je t'en prie. Eva, je j'assure, je ressens aussi ce que tu dis, surtout avec le sang…

Il s'était coupé, comme s'il avait prononcé un mot interdit, et bien qu'elle ne pût le voir, Alice savait que ses yeux imploraient la clémence de sa mère.

– Pauvre crétin, avait fini par siffler sa mère, nous reparlerons de tout ça au Studio, lundi. En attendant veille à ce que Koesler contrôle mieux son perso

Alice se demanda si ce dont parlait sa mère avait un rapport avec le coup de téléphone de Koesler.

Et elle se demanda ce que son beau-père avait voulu dire avec le sang.

Pendant l'été, sa mère et Wilheim partirent pour une croisière en Méditerranée et ils emmenèrent Alice au mois d'août. Elle passa le temps à se balader dans les rarissimes coins isolés qu'elle put trouver aux abords des lieux de villégiature de ses parents. Saint-Tropez, Juan-les-Pins, Monaco, Marbella. Elle dévora Le loup des steppes de Herma

A la rentrée, elle déclencha un jour, pour de bon, les hostilités en affrontant sa mère sur la question de l'astrologie.

Depuis le début de l'été, les relations entre Alice et sa mère traversaient une phase soudaine de détérioration. De nombreux accrochages émaillèrent leur séjour. Les résultats d'Alice à l'école etalent pourtant devenus spectaculaires et il s'avérait certain qu'elle allait sauter une classe et passer directement en quatrième.

Ce jour-là, une ou deux semaines après la rentrée (Alice était effectivement passée en quatrième), sa mère tentait de lui expliquer ce que la position de Saturne dans la maison de Mercure, à moins que ce ne fût l'inverse, pouvait entraîner comme conséquences sur un natif du lion, comme elle-même.

Alice avait juste souri et sa mère l'avait froidement toisée:

– Pourquoi souris-tu Alice?

Alice n'avait rien répondu et sa mère avait insisté:

– Allons dis-moi ce qui te fait sourire…

– Ce n'est rien maman, avait-elle consenti à lâcher, ne désirant pas vraiment la blesser.

Mais sa mère avait persisté.

– Non je t'écoute, vraiment qu'est-ce qu'il y a de drôle là-dedans… Tu sais Àlice, tu es peut-être trop petite pour comprendre mais l'Univers est fait de forces mystérieuses qui agissent profondément sur nous…

– Maman, l'avait coupée Alice, tu sais parfaitement que je ne suis pas trop petite pour comprendre. Simplement cette conception de l'Univers est complètement dépassée, c'est une conception erronée, ça ne correspond à rien, que ce soit dans la théorie du big-bang ou de la mécanique quantique…

Alice avait entendu Wilheim marmo

– Big Band… Mécanique cantique? Nom de dieu c'est pas possible, mais où t'as pêché une fille comme ça, Eva?

Sa mère s'était retournée vers le canapé de cuir suédois et avait dardé un regard fulgurant sur la masse beige écroulée dans le cuir noir. Elle avait lancé d'un ton rêche et froid:

– Silence pauvre minable, ma fille est une… génie. Nous devons juste nous expliquer elle et moi… À l'avenir mêle-toi de ce qui te regarde et de ce que tu peux comprendre, d'accord?

Le silence de la résignation s'abattait sur le canapé.

Sa mère l'avait de nouveau fixée dans les yeux.

– La science «moderne» est souvent incapable d'expliquer de nombreux mystères et le zodiaque en est un…

– Oh, maman, je t'en prie, Mlle Chatarjampa m'a bien expliqué l'histoire de la création de notre système solaire… les planètes et les constellations ça n'a rien à voir avec les horoscopes…