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4 Travailleur clandestin en situation irrégulière

La porte matelassée d’authentique cuir de vachette s’est ouverte sur un long corridor, avec un tapis rouge vermeil qui conduisait à une autre porte, en tous points analogue à la première.

Un des gorilles laotiens de monsieur Tchou m’a montré le couloir et m’a titillé les reins avec le canon de son Uzi à micro-munitions.

– Toi aller porte du fond. Monsieur Tchou t’attendre.

– Ouais, j’ai fait, monsieur Tchou m’attendre, mais toi attendre pas trop pour enlever ton joujou de mes fesses. J’suis pas le genre que tu crois, mon chéri…

Je l’ai entendu refermer la porte en soufflant une amabilité du genre “ euro motherfucker ”, ou un truc comme ça, mais j’ai pas relevé. Je peaufinais avec une relative nervosité les ultimes détails de ma version des faits. Monsieur Tchou n’est pas le dernier des zozos. S’il a survécu jusqu’à cet âge vénérable dans le coin, et à son niveau, c’est que c’est un vrai dur, quelqu’un qui se sert de son cerveau avant d’utiliser ses muscles, ou ses fusils d’assaut.

Quand je suis arrivé devant la seconde porte j’ai d’abord vu l’oeil noir et globuleux d’une caméra multifréquences. Puis la trademark argentine qui authentifiait le label Cuir véritable, greffée sous l’épiderme.

J’évaluais la porte au salaire trimestriel d’un ingénieur orbital.

La maison de monsieur Tchou ressemblait à une pagode géante qui se serait échouée en bord de Seine, en face de l’ancie

Monsieur Tchou, en dehors du fait qu’il dirigeait le rameau local d’une importante Triade de la diaspora de Hongkong, était un de ceux qui avaient le plus brillamment réussi leur reconversion. Depuis la fin de la Grande Prohibition des a

J’ai posé ma main contre la plaque du senseur, entre deux carrés de cuir, les doigts épousant bien la forme du dessin, pas d’embrouilles. Le senseur a analysé mes empreintes, et les a comparées à celles de la carte que j’ai enfilée dans le lecteur.

La porte s’est ouverte après un petit cliquetis, dans un doux et confortable ronro

Au-dessus de moi s’ouvrait un dôme couleur de nuit, avec des milliers d’étoiles peintes à la main.

Une petite lumière pâle s’est allumée à l’autre bout de la coupole.

Le visage rond de monsieur Tchou est apparu, flottant au-dessus d’un costume chinois traditio

– Venez donc, cher ami.

Sa voix avait conservé l’accent de la banlieue de Hongkong, où il avait passé sa petite enfance. Il a fait un petit geste d’invite, et j’ai avancé dans sa direction. En levant les yeux, j’avais l’impression de marcher sous un planétarium façon manga.

J’étais ici dans le saint des saints. Je n’y étais jamais entré auparavant, Monsieur Tchou m’avait toujours reçu dans sa tour du Kremlin-Bicêtre. C’était un geste rare et important, censé élever son bénéficiaire au niveau de Boddhisattva, ou à peu près.

– Monsieur Tchou, très honoré, j’ai fait, en inclinant la tête en signe de politesse.

Il m’a observé de ses petits yeux albinos et bridés, son sourire impénétrable aux lèvres. Il m’a rendu mon salut et m’a fait un signe indiquant que je pouvais m’asseoir.

Je me suis installé sur un fauteuil de vice-ministre et j’ai relevé les yeux vers les siens. Les petites billes rouges disparaissaient presque sous les replis de graisse. J’ai pu me rendre compte que son visage était parfaitement lisse, sans une ride, pas une cicatrice, pas une marque. Plus de dix ans avaient passé et il me semblait même plus jeune qu’avant. Je me suis souvenu qu’il s’était offert une clinique de chirurgie esthétique de pointe, au Liban, pour bénéficier des soins les plus performants du moment. Il faisait disparaître les effets de la vieillesse, mais considérait depuis toujours que l’embonpoint était un signe de puissance et de réussite.

Monsieur Tchou vivait dans le noir comme les chauves-souris, il ne supportait que les lumières faibles et tirant vers l’infrarouge.

Il m’observait calmement, comme un génie tranquille et bienveillant. Si je n’avais pas co

– Bienvenue, mon petit, a fait monsieur Tchou en élargissant son sourire. Alors, dis-moi, qu’est-ce que tu es devenu depuis tout ce temps? On m’a dit que tu travaillais pour Oshiro, maintenant?

Si quelqu’un devait co

– Oui, j’ai répondu, je suis passé chez Janacek amp; Silveri. Par Viroflay, avant. Et aussi à l’e



Monsieur Tchou a éclaté de rire. Son ventre tressautait comme un gros ballon cousu de soie naturelle, deux mètres carrés de tissu qui devaient valoir le prix de la dernière Hyundaï.

– Qu’est-ce qui te fait dire que je suis au courant, Sun Tzu?

Sun Tzu, c’était le nom de code que j’employais à l’époque du gang, pour mes contacts avec la Triade de monsieur Tchou. Sun Tzu, l’auteur de L’Art de la guerre , un bouquin que m’avait fait lire Youri. Le type en question, un spécialiste chinois de stratégie, avait vécu cinq cents ans avant le Christ, et toutes les guérillas populaires s’en étaient inspirées au XXe siècle. Monsieur Tchou, qui était loin d’être inculte, avait énormément apprécié.

– Allons… perso

Il est reparti de son rire énorme.

– Je sais tout ce qui passe, Sun Tzu, et jusqu’à la ceinture nord…

J’ai chopé la perche et j’ai amorcé un sourire.

– On dit même que vous faites souvent le voyage de Bruxelles, monsieur Tchou, les Triades s’intéressent au déficit budgétaire européen, maintenant?

Il a éclaté de rire.

– Nous nous intéressons à tous les déficits budgétaires, Sun Tzu, tu le sais bien… Mais ce n’est pas pour discuter macroéconomie que tu as fait le voyage jusqu’ici, n’est-ce pas?

Je suis resté en suspens une ou deux secondes, mon sourire froid aux lèvres.

– Non, en effet.

Je me suis profondément calé au fond du fauteuil.

Ça y est, je me suis dit, c’est parti.

Toute négociation avec une Triade se doit de respecter un certain nombre de règles. La première consiste à mentir avec art. Les Asiatiques se foutent que vous leur disiez la vérité ou pas. Ce qui compte pour eux, c’est l’élégance et la logique interne de votre histoire.

Le mensonge se doit d’être habilement dissimulé dans un tissu de vérités, plus ou moins approximatives, mais qui y renvoie, et sur lesquelles votre mensonge peut rebondir, dans un jeu de significations très complexes.

J’ai donc calmement débité ma salade à monsieur Tchou. Un savant dosage de vérités et de fictions dont je suis certain qu’il se régalait, me suffisait de voir sa face de lune éclairée de son sourire, les petits yeux logés au fond de leurs orbites, brillant de leur éclat rouge. Ses doigts grassouillets, croisés sur sa bedaine de luxe, rythmaient gentiment le son de ma voix, avec une évidente satisfaction.

Pendant toute la semaine précédente, je m’étais d’abord traité de co

– Je sais que je vous demande pas le tout-venant, monsieur Tchou, sans quoi j’aurais été voir un branleur de Grand Tu

Monsieur Tchou a émis un petit rire.

– Non, Sun Tzu, juste de quoi falsifier une neuropuce et l’hologramme incopiable de l’ONU!

– Ce genre de co

– Je ne demande qu’un kit logiciel. La console neuro, les interfaces, la carte, les bidouillages, c’est mon problème…

J’ai entendu vaguement monsieur Tchou qui grognait, tout en hochant la tête.